Culture

Colombe Schneck :
« J’écris contre les silences »

Mensonges au paradis

Journaliste et écrivaine, Colombe Schneck possède le don d’écrire des romans, des fragments de vie, de sa vie essentiellement, qui parlent à chacun d’entre nous. En retournant sur les traces de son passé, comme dans d’autres de ses livres, elle raconte son enfance et ses vacances dans un home suisse. De ce havre de paix et de bonheur, elle découvre qu’elle était loin de connaître, ou d’avoir souhaité connaître, la vérité.

Comment avez vous été amenée à écrire ce livre ?
Colombe Schneck : Après 35 ans d’absence, je suis retournée en Suisse dans la vallée où se trouvait le home où je passais mes vacances. J’y ai passé toutes mes vacances jusque tard, soit presque deux mois par an. Les gérants, Karl et Anne-Marie étaient ma famille d’adoption. Je me souvenais d’une enfance heureuse, loin et protégée des miens. Et pourtant, j’ai mis 35 ans à y retourner. Je suis rentrée avec l’idée d’écrire un beau roman qui se termine bien, qui soit éloigné de mon histoire familiale. Je bute alors sur des choses moins charmantes, le destin terrible de Patou et Vava, les enfants du couple, qui vont très mal. Je me demande aussi pourquoi je passais si peu de temps avec mes parents et pourquoi avaient-ils besoin de me confier. Je me rends rapidement compte que je n’avais pas une enfance heureuse.

Comment était votre enfance à l’ombre de la Shoah ?
C.S. : Comme beaucoup d’enfants dont les parents étaient cachés, j’ai grandi dans le silence. Il y avait une ombre mais on faisait comme si elle n’existait pas. Enfant, je lisais seule dans ma chambre et quand j’avais tout lu, je lisais des annuaires. Cela me fascinait. Par cette lecture, je devais chercher le nom des disparus. Mes parents résumaient leur enfance à une phrase. Mon père disait « c’était merveilleux, j’ai appris à pêcher la truite à mains nues » ; ma mère, cachée dans un couvent disait « c’est horrible, j’étais obligée de manger du pain noir ». On ne parlait pas du reste. Je pense que m’envoyer en Suisse était un moyen de me protéger.
La seule fois où ma mère m’en a parlé c’est pour me demander d’appeler ma fille Salomé, du nom de sa cousine. La Shoah, c’est comme le sexe, on n’en parle pas.

En quoi le home d’enfants que vous fréquentiez en Suisse était-il un havre de paix ?
C.S. : J’ai adoré y aller toutes ces années. On s’occupait beaucoup de nous. C’était dur, on marchait plusieurs heures dans la montagne. Karl nous disait « faut pas s’arrêter ! ». Nous étions menacés, punis humiliés, mais nous n’étions pas battus. Actuellement, ces règles ne seraient plus possibles. Malgré ces règles très strictes, on s’occupait de nous, on nous apprenait plein de choses. C’était génial, j’adorais cela, alors qu’à la maison, il n’y avait aucune règle ni attention.
Le home accueillait beaucoup d’enfants de familles juives dont les parents avaient été cachés ou déportés. Les familles y voyaient un refuge en Suisse.

Malgré le luxe de détails sur cette pension pour enfants, pourquoi tenez- vous tant à la laisser anonyme en utilisant uniquement des initiales ?
C.S. : La loi suisse protège la vie privée et il existe un droit à l’oubli. Je respecte cela et je le comprends.

Dans ce monde presque idéal, tous ne sont pas à égalité, Patou et Vava, les enfants du couple, formé par Karl et Anne-Marie, souffrent. Vous en êtes- vous rendu compte ?
C.S. : Je ne le voyais pas du tout. Je me rends compte aujourd’hui qu’on se ment tous. Nous préférons ne pas voir la réalité, nous esquivons une réalité trop cruelle. Je pense que, simplement, je ne voulais pas voir. Patou et Vava n’avaient pas de parents, ils les appelaient d’ailleurs par leur prénom. Son père était violent avec Patou, l’humiliait sans cesse.Patou a eu des ennuis avec la justice et a fait de la prison.
Vava n’avait pas une très bonne relation avec sa mère. Elle a fait une mauvaise rencontre avec
une très célèbre rock star qui l’a manipulée. C’est la première fois où elle a perdu pied avec la réalité, et depuis, cela ne s’est pas arrangé. J’ai mené l’enquête auprès des autres pensionnaires, nous sommes restés en lien. J’ai ainsi découvert de nombreuses vérités que je m’étais cachées.


Selon vous, toute vie se construit sur des mensonges et des non-dits, comme la Shoah, pensez-vous que ces mensonges font de la bonne littérature ?
C.S. : Disons que la quête de vérité fait la littérature et remplit des silences. Elle sous-tend mon travail. J’écris contre le silence, mais je ne peux vous dire si cela est bien ou non. Ecrire n’est pas une thérapie ! Il faut beaucoup de force pour se séparer du passé. J’écris beaucoup sur la mémoire, cela me libère. En ce qui me concerne, écrire m’aide. Contrairement à mes parents, j’ai raconté l’histoire familiale à mes enfants. Je pense qu’ils sont séparés de cette histoire, mais je n’en suis pas si sûre.
C’est sans doute plus facile pour les générations suivantes. Propos recueillis par Ilan Levy

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