Portrait

Pierre-Henry Salfati : Un livre ouvert

Par Robert Sender
À l’oral, à l’écrit ou par l’image, Pierre-Henry Salfati incarne l’art de la narration – un art que ce sachant illumine par sa pensée. Nous l’appellerons P.H.S. Lorsqu’on l’interroge sur l’orthographe de son prénom, trouvé ici ou là dissemblable, P.H.S. répond qu’il possède trois cartes de crédit aux prénoms et aux noms différents.
« Mon occupation principale s’exprime par l’étude dix-huit heures par jour, le reste est secondaire », précise-t-il. Ce qui renvoie à son identité juive, essentielle et affirmée, loin de celle des cartes de crédit.
L’érudit sourit avec les yeux de son enfance et transmet un enthousiasme contagieux. Sans pour autant nous imposer sa foi.
Né en 1953, dans le magnifique village d’Alet, à 26 kilomètres de Carcassonne, P.H.S. a été élevé par ses grands-parents aimants, dans un château, jusqu’à l’âge de dix ans. Ses parents l’eurent très jeunes et ils leur confièrent sa garde. Il se souvient dans le jardin des ruines d’une cathédrale, de trois sources d’eau bénéfiques pour l’intestin, le foie, l’estomac, et d’un fromage, au goût de paradis, fabriqué par une très vieille femme qui ressemblait à la sorcière de Blanche Neige.
Alet le fascine, P.H.S. en garde un souvenir émerveillé. Un village dans lequel Nostradamus vivait, rue de la Juiverie. « Sur 1,5km, est résumée l’histoire de l’humanité dans ce village cathare, constitué sur le plan étrange d’un hexagramme, telle l’étoile de David. Alet possède une église unique au monde avec des maguen David sur les vitraux. Dans ce village et ses environs tout est kabbalistique. Alet vient d’Electus, qui, en latin, signifie élu ».


L’enfant questionne sa grand-mère sur leur présence dans ce lieu. Elle l’emmène chez un historien qui l’ouvre au monde juif ésotérique. C’est un événement marquant. « Ce fut le plus grand choc de ma vie, il m’a ouvert à l’ésotérisme. Il fît résonner en moi une envie de m’instruire sur les secrets de la vie ». Quand ses parents se stabilisent – ils furent scientifiques au CNRS – il les rejoint et découvre à dix ans sa fratrie – des jumeaux -, puis plus tard deux autres sœurs. Il va continuer de grandir à Marseille où il étudie chez les jésuites. Pas de bar-mitsva. Le futur enseignant réussit le bac avec deux ans d’avance, opte pour des études d’architecture, le programme l’attire, s’essaie à la médecine, mais c’est en philo qu’il ira jusqu’au bout. Ce qui lui parle, ce sont les équivalences d’archi avec la grande école de cinéma, l’IDHEC, désir depuis l’enfance de réalisation.


À Marseille, dans le même temps, un cousin l’emmène, lui le petit bourgeois, dans un quartier juif populaire où il rencontre un gars qui n’a de cesse de lui répéter d’étudier la Torah, un certain M. Schwob. P.H.S. part à Paris pour entrer à l’IDHEC. Dans l’immeuble où il débarque est installé un centre ‘habad qui l’illumine. Il s’installe plusieurs années à la yechiva de Brunoy, ne fait plus rien qu’apprendre à étudier, enchaîne à Kfar Habad en Israël et poursuit à Brooklyn dans la yechiva du rabbi de Loubavitch, « le rabbi est bien plus qu’exceptionnel, c’est un pur génie ». Il se souvient : « Entre les chiourim, on m’a organisé plus de cent quatre-vingt-seize chidourim, mais rien ne se passait ». Le rabbi lui conseille alors d’aller à Paris où il rencontre sa première femme. De retour à Brunoy, en secret, il écrit un scénario qu’il réalise avec Jean-Yves Escoffier, devenu grand chef opérateur. Leur court-métrage est sélectionné à Cannes. Son deuxième reçoit le prix de Rome, puis il met en scène son premier long-métrage Tolérance. La presse s’emballe, le César du scénario lui est attribué. P.H.S n’aime pas ce milieu qu’il abandonne et se remet à l’étude. Pour des raisons financières, il renoue le contact et le succès se poursuit.


Le cinéaste alterne fictions, documentaires (40 prix pour Le Jazzman du goulag dont l’Emmy Award), et publie de nombreux ouvrages. Certains documentaires le mèneront à goûter les geôles de Russie, d’Iran, du Yémen, voire à créer un lien avec un de ses chefs de camp. Le documentariste sera le seul à filmer le cerveau de Lénine réduit à 33 000 plaquettes pour le microscope. La judaïté reste le fil rouge de ses œuvres, quel qu’en soit le sujet. Pour lui, « ceux qui sont dans l’étude sont dans l’exhaustivité ». Habité par la question de l’identité juive, P.H.S. travaille aussi la nuit, prend le moins de rendez-vous possible pour rester attablé à approfondir, explorer, potasser, écrire. Avec la permanence de l’étude, ce savant demeure pour autant cinéaste, auteur, prof de judaïsme, jusqu’à aujourd’hui. Quand il vous parle, tout ce qu’il raconte est une histoire. De temps en temps, comme acteur, il sert le récit des autres, récemment dans les films de Gad Elmaleh ou de Stéphane Freiss. Et bientôt dans Le dernier juif avec Agnès Jaoui ou Tikun avec Vincent Lindon. L’éclairé ne va aucunement se voir à l’écran. Ce monde ne l’a jamais fait dévier.

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