Portrait

Joseph Bau: Faussaire en chef du Mossad

Cela aurait pu être le scénario d’un film, mais c’est une histoire vraie. Joseph Bau,artiste rescapé de la Shoah, a mis son talent au service de la mémoire et du renseignement israélien. Son histoire est racontée dans un petit studio-musée de Tel Aviv, aujourd’hui menacé de fermeture.

Dans une petite rue latérale au célèbre boulevard Rothschild de Tel Aviv, une petite maison apparemment insignifiante aussi modeste et humble que Joseph Bau qui en était, autrefois, le propriétaire et qui ne laisse en rien augurer de l’incroyable histoire qu’elle renferme.
À peine plus de 50m2 construits de ses mains en 1956 et transformés en musée par ses filles, à sa disparition en 2002, les murs habillés de peintures, de portraits et de photographies. Sur les étagères, on trouve les livres qu’il a écrits sur la Shoah et sur la langue hébraïque, les recueils de poésie qu’il a
composés et les récits personnels qu’il a compulsés une machine à coudre fabriquée à partir d’un moteur et de pièces de cuisine, une table d’animation fabriquée à partir d’un bras d’une vieille
machine à rayons X, et la plus petite salle de cinéma au monde. Très jeune, Joseph Bau est fasciné
par l’art et étudie le design à Cracovie, études interrompues par la seconde guerre mondiale. C’est cet amour qui lui sauvera, sans doute, la vie.
Au cours de sa première année à la prestigieuse Académie des beaux-arts, son professeur de calligraphie propose aux élèves une leçon facultative de lettres gothiques allemandes. Bau est le seul qui y assiste et lorsque lui et sa famille sont emmenés dans le ghetto de Cracovie, les nazis cherchent quelqu’un qui maîtrise le lettrage gothique pour réaliser des panneaux et des cartes.
Joseph est alors affecté à cette mission qui lui permet de falsifier des documents pour la clandestinité juive. «Les nazis cherchaient des espions partout et ils ne savaient pas que le plus grand espion était assis dans leur bureau», s’amusait-il, en dépit du contexte.
C’est au camp de concentration de Plaszów, où il est déporté, qu’il rencontre Rebecca Tennenbaum, une
infirmière qui sert de cosméticienne à Amon Goth, commandant du camp.Ils tombent amoureux le 13 février 1944, habillé en fille, Joseph s’introduit dans le baraquement des femmes et
avec deux bagues fabriquées à partir d’une petite cuillère en argent contre laquelle il a échangé ses rations de pain de plusieurs jours, il épouse Rebecca.

C’est sa mère qui récite les sheva brahot. «S’ils se sont mariés, c’était bien sûr par amour mais aussi pour
donner de l’espoir aux autres. Pour leur montrer que la vie continuera quoi qu’il arrive
», a raconté Clilia,
l’une de ses filles.Une scène de mariage immortalisée et embellie dans le film La Liste de Schindler
de Steven Spielberg qui s’inspirera, pour les décors de son film, de la couverture d’un des livres de
Bau sur laquelle il avait dessiné un schéma du camp Bau avait, toutefois, qualifié la scène du mariage de «non-sens total» car il y figurait une houppa faite avec un drap.
«Qui a déjà entendu parler de draps dans un camp?
Un pour, Rebecca qui maîtrise , l’allemand, surprend une conversation qui évoque une liste en cours de préparation à la demande d’un certain Oskar Schindler, lequel entend transférer des Juifs à son usine en Tchécoslovaquie, une main-d’oeuvre bon marché. Rebecca est sur la liste mais elle demande au commandant de la remplacer par son mari, ce qu’il fera. Elle sera envoyée par la suite à Auschwitz, mais survivra. Pendant cinquante ans, elle n’a jamais révélé à son mari que c’était elle qui avait demandé
qu’il soit sur cette liste. «Parce que je l’ai fait par amour et je ne voulais pas que tu te sentes redevable de quoi que ce soit», lui avait-elle dit quand des journalistes étaient venus les interviewer, avant la sortie du film de Spielberg.
Bau est donc transféré à l’usine de Schindler en Tchécoslovaquie avec huit-cents autres juifs du camp de
Plaszow qui deviendront les «juifs de Schindler», des gens dont il s’estimait responsable. En grande partie grâce aux documents créés par Bau (cartes de rationnement, permis divers et certificats, Schindler réussit à sauver la vie de chacun d’entre eux. L’amitié entre les deux hommes restera très forte jusqu’à la mort de Schindler, en 1947.Lors d’une de ses visites en Israël il en fera seize, il avait dit à Clilia, alors âgée de cinq ans: «J’ai sauvé ton père alors je suis ton grand-père». D’ailleurs, Joseph et Rebecca Bau sont parmi
les survivants qui apparaissent dans la scéne finale du film de Spielberg lorsqu’ils déposent, une à une, des pierres sur la tombe de Schindler à Jérusalem.
Après la guerre, le couple Bau se retrouve et retourne à Cracovie où Joseph poursuit ses études d’arts
plastiques à l’université. Il devient un caricaturiste renommé et conçoit des dessins animés pour plusieurs
journaux et films. Pendant ce temps, il travaille secrètement pour l’Alyah Bet – un mouvement d’immigration d’après guerre et fabrique les documents requis par le mandat britannique.
Quand il sent que sa liberté de créer et de publier est menacée, il s’enfuit en
Israel avec sa femme et sa fille de trois ans, Hadassah. Leur autre fille, Clilia, naîtra quelques années plus tard. Ils s’installent, dans un premier temps, au ma’abarah Sha’ar Aliyah camp d’entrée pour l’immigration près de Haïfa avant de déménager plus tard à Tel Aviv où il établit son studio d’art.
Joseph devient l’un des premiers graphistes du pays et travaille pour de
nombreux films à succès. Son talent lui vaut d’ailleurs le surnom de «Walt Disney israélien». Mais aussi celui de «faussaire en chef du Mossad». Il travaille, en effet, pour l’agence de renseignement israélienne et mène une double vie, son studio servant de couverture pour ses activités. Bau falsifie des documents pour ses parents, comme ceur que détient Eli Cohen, le célèbre espion israélien arrêté en Syrie et pendu, pour s’être infiltré dans les hautes sphères du pouvoir syrien. Ou encore, les passeports et les documents nécessaires à l’équipe qui a capturé Adolf Eichmann, en Argentine.
Cependant longtemps, ses filles pensaient que leur père n’était qu’un simple artiste jusqu’au jour où ses ouvres ont été exposées à la Knesset. Sont alors présents le président de l’État, Reuven Rivlin, l’ex-président Shimon Peres et de nombreux députés, ce qui les étonne. «Comment et pourquoi tous ces
gens connaissaient-ils notre père?» La réponse se fait entendre dans le micro:
«ses filles ne ?e savent certes pas mais Joseph Bau était le graphiste en chef du mossad son faussaire en chef», annonce alors l’orateur.
À la mort de leur père, les deux sœurs transforment son studio en un petit musée le plus petit au monde afin de perpétuer son héritage mais aussi la mémoire de la Shoah, si présente dans son travail. Dans son livre le plus célèbre, traduit en de nombreuses
langues,chez Dieu avez-vous déjà eu faim? il raconte en poèmes et en croquis ses expériences pendant la Shoah, le tout avec humour, ce qui lui avait valu de nombreuses critiques,
mais là était sa résilience.
Aujourd’hui, les portes du musée risquent de se refermer. Le lieu ne peut prétendre être subventionné car
pour être considéré comme un musée, une surface de 200m2 est requise. S’il disparaissait, ce serait tout un héritage artistique qui disparaitrait avec lui, mais aussi un pan de la mémoire et de l’histoire d’Israël. Les deux sœurs ne comprennent pas pourquoi le ministère de la culture refuse de les soutenir.Si
nous ne parlons pas de la Shoah et que vous n’en parle? pas que se passerait- il dans quelques années? on dira que cela n’a pas existé alors que les œuvres de notre père en attestent», ont-elles
déclaré.

Le travail de Joseph Bau a fait le tour du monde Etats-Unis, Canada, Grande-Bretagne, Pologne, Russie et
Chine. En 2007, il est devenu le premier Israélien à être exposé au siège des Nations unies et en janvier 2021, une exposition de ses œuvres sur la langue hébraïque et ses peintures sur la Shoah
a été inaugurée au Museo Nacional de Madrid.En même temps figurait un accrochage des écrits d’Albert
Einstein. Les deux hommes avaient, alors, été désignés par le commissaire de l’exposition comme «deux des penseurs juifs les plus importants de l’histoire de l’humanité».Nathalie Sosna-Ofir

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