Judaisme

Haïm Korsia :« La liberté, c’est choisir les règles auxquelles on adhère »

ENTRETIEN Il ne saurait y avoir de liberté sans limites, rappelle le grand rabbin de France qui voit dans la fête de Pessa’h l’occasion d’une remise en ordre du tohu-bohu du monde et de nos vies.

La fête de Pessa’h qui célèbre la liberté est aussi une fête qui se distingue par l’ordre et la codification qu’elle établit. N’est-ce pas antagoniste ?
Haïm Korsia : Absolument pas. Je vous renvoie d’ailleurs au livre du psychanalyste Moussa Nabati, « Ces interdits qui nous libèrent » qui analyse particulièrement bien ce sujet. Oui, la Torah nous donne des limites. Or, ce sont les limites qui nous libèrent de la dictature de notre volonté. On ne doit pas faire ce que l’on veut, c’est-à-dire rien et tout à la fois, mais l’on doit faire ce que l’on doit, c’est-à-dire ce que Dieu attend de nous. Il n’y a donc pas plus grande liberté, sauf qu’elle nécessite un cadre. Les enfants se construisent quand on sait leur mettre des limites. Ne pas avoir de limites génère forcément de la souffrance. C’est le cas des enfants tyrans. Ne pas avoir de limites, cela signifie être percuté, car confronté à l’impossible. Peut-être Dieu envoie-t-Il les Hébreux dans le désert pour leur apprendre à dépendre de Lui. C’est-à-dire à tout Lui demander et à tout pouvoir avoir, mais dans la mesure où ils sont en adéquation avec ce que Dieu attend d’eux. C’est là toute l’idée de la manne. Ce pain qui tombe du ciel et qui libère. Peut-être aussi que la plus grande des libertés est celle de choisir qui l’on veut servir. Bob Dylan chantait « You have to serve somebody. It may be the devil or it may be the Lord but you have to serve somebody ». Ce peut être le diable ou ce peut être Dieu mais tu dois servir quelqu’un. C’est exactement ce que dit la Torah. « Voici que je place devant toi le bien et le mal et tu choisiras le bien ».

Il n’y a donc pas de liberté sans cadre ?
H.K. : Bien évidemment. La règle commune nous permet la liberté. Prenons le code de la route. C’est cette codification qui nous permet, à vous et à moi, de rouler en toute liberté. C’est une théorie philosophique fondée par Hobbes dans Léviathan, qui dit que pour assurer la liberté de chaque citoyen, on doit abandonner une part de cette liberté à l’État, à ce Léviathan qui, en contrepartie, nous garantit la sécurité.
S’il n’y a pas ce renoncement à une part de liberté, chacun voulant exercer sa liberté se fracasse à la réalité de la liberté des autres. Si chacun exerce sa liberté totale, il n’y a plus de liberté pour personne.


Comment la Torah définit-elle la liberté ?
H.K. : On explique que le mot liberté,‘Herout, vient du mot ‘Harout, qui signifie gravé. Les paroles de la Torah étaient gravées dans les pierres, c’est-à-dire les Tables de la Loi. Et les commentaires du Talmud disent אל תקרא חרוּת אלא חרוּת (Al Tikra ‘Harout ela ‘Herout). C’est parce que ces lettres étaient offertes aux hommes qu’ils ontpu acquérir la véritable liberté. Il y a bien un lien évident, et même phonétique, entre la liberté et ces lettres de la Torah qui, par nature, limitent la possibilité de l’homme. Ainsi l’homme doit, d’une manière ou d’une autre, être limité. C’est ce que nous rappellent les Maximes des Pères : « On ôte des épaules le joug des hommes à celui qui sert Dieu. On met sur les épaules le joug des hommes à celui qui refuse de servir Dieu ». Que ce soit celle de la Torah ou celle des hommes, on se plie de toute manière à une règle.


C’est ainsi que la notion de liberté renvoie à celle de libre arbitre…
H.K. : Plus encore. La liberté, c’est choisir les règles auxquelles on adhère. C’est aussi une façon de dire je choisis la liberté de suivre Dieu.


Quelle est l’expression de cette liberté qu’apporte aujourd’hui la fête de Pessa’h ?
H.K. : Le mot Pessa’h signifie la bouche (pe) qui raconte (sah). Pessa’h est une historicisation de ce qui nous arrive. Ce qui nous arrive existe parce qu’on le raconte. C’est ce storytelling qui nous permet d’avoir notre propre maîtrise. En racontant, on donne un contexte et du sens. On y met une part de notre vie mais on ne la subit pas. Raconter une histoire, c’est presque en devenir le maître ou plutôt, l’ordonnateur. Et regardez, dans le mot ordonnateur, on retrouve l’étymologie de l’ordre. «Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse ne peuvent que chanter la gloire du chasseur », dit un célèbre proverbe africain. Nous, nous avons nos historiens. Nous avons la mémoire plongée dans les siècles. Nous racontons cette histoire avec un sens. Sans l’embellir mais sans en être victimes non plus. Propos recueillis par Laëtitia Enriquez

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