Culture

Émilie Frèche , l’amour à mort

LITTÉRATURE Survivants de la Shoah, Maud et Ezra Kerr décident de mettre fin à leur jour. C’est l’histoire du dernier roman d’Émilie Frèche : Les amants du Lutetia. Surprenant.

Je viens de finir le livre d’Émilie Frèche, qui fut un temps ma cousine par alliance. Je la revois avec ses fils. Il y en avait un tout blondinet que j’appelais Hamoudi. Émilie et cette générosité instantanée, cette pugnacité toute inondée de droiture, ses mille et un projets achevés. Au bout de la route, elle y va sans se retourner, et sans complexe comme le prouve ce dernier roman Les amants du Lutetia, que je lis à bout de souffle. Je sens son énergie à chaque détour des pages. D’autant plus que c’est presque le premier d’elle que j’ai entre les mains… J’ai fermé les yeux. Un mot me vient intraduisible : Liebestod, La mort d’amour, ainsi Isolde suivra Tristan dans les ténèbres. Bon, je ne devrais pas citer l’opéra de Wagner pour les héros, qui est ce couple d’octogénaires, juifs polonais, dont toute la famille est morte dans les camps. On va dire que Tristan est à part dans l’œuvre du plus grand antisémite de l’univers, et que cette mélodie qui accompagne ce dernier acte ne me quitte pas. Chaque récit a son propre chant, ses piyyoutim, pour citer Raphy Marciano. Un fil rouge qui chante en nous ….

Maud et Ezra Kerr se suicident dans un hôtel de luxe parisien : le Lutetia, là où tout a commencé pour eux. En 1945, ils iront là-bas, jeunes adolescents ils se connaissent déjà, mais ne retrouveront aucun membre de leur famille. C’est à cet endroit que la Croix-Rouge avait organisé le rapatriement des survivants des camps. Combien de personnes ont attendu le cœur battant, un des leurs, ma mère aussi faisait partie du lot, personne n’est revenu comme les Kerr, qui, à 88 et 86 ans, rejoignent les grands amants maudits de l’histoire ; et ont mis fin à leur existence. Maud et Ezra sont rattrapés par leur histoire qu’ils ont effacée un temps. Je pense évidemment à Stefan Zweig qui, un jour de février 1942, avec sa femme Lotte, dans cette contrée verdoyante du Brésil, avalera du Véronal, ne pouvant plus faire face à ce qui se préparait en Europe. Mais il y a aussi les solitaires, Primo Levi, Bruno Bettlelheim, Paul Celan… Pourquoi un matin ou un soir, les douleurs du passé se révèlent insoutenables : c’est à cette question qu’Émilie Frèche tente de répondre à travers le personnage central du roman leur fille, Éléonore. Elle va démêler l’écheveau de la vie de ses drôles de parents qui ont fait fortune dans la publicité et ne se sont jamais quittés, étant fusionnels à l’excès. De leur passé douloureux qui rejoint le sien également difficile, elle ne sait rien et découvre, ébahie, que c’est à Simon Epstein, son fils, qu’ils ont tout dit, tout laissé.
Dans les années 80, Maud et Ezra sont insouciants ; c’est l’époque de la liesse et des liasses, tout semble facile… Se griser pour oublier, c’est ce qui se glisse à chaque page. Habilement, Émilie Frèche va se servir de tous les outils modernes, et semer dans le texte tel le Petit Poucet, des éléments amusants comme l’Instagram « Lesamantsdu Lutetia » ou des mails reproduits, tels quels, ainsi que des articles. J’y découvre avec surprise et bonheur, à la page 87, entre Libération et L’Humanité, Actu J daté du 3 septembre 2018, qui brièvement raconte l’histoire des Kerr, enfants cachés. Bien sûr tout est inventé puisque ces amants-là ne sont pas réels, mais on finit par y croire et se dessine en toile de fond l’idée du suicide et du droit à disposer de sa personne. En tous cas, Émilie Frèche a réussi ce roman étrange et dérangeant qui nous ramène toujours à la porte de notre histoire. Hélène Schoumann

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