Culture

Proust, du côté de chez Sion

Cette année du centenaire de la mort de Marcel Proust est l’occasion de rappeler ses origines juives si essentielles à sa compréhension.

Il y a très longtemps à Netanya, je lis À la recherche du temps perdu sur les marches brûlantes de l’immeuble de mon oncle Jacques. Je ne supporte plus l’odeur de l’oignon qui envahit tout l’appartement dès 6h du matin où ma tante Annette s’affaire dans la cuisine pour le repas de chabbat. Ma mémoire a enregistré les fragments de cette lecture, et désormais les phrases de Proust seront liées à ces sensations de chaleur, de senteurs diluées et mêlées à celles des jacarandas, arbres violets qu’un soleil éblouissant traverse. Le papier bible de la Pléiade tourne vite, et le cœur rit aux exploits ridicules de Mme Verdurin qui ne comprend rien à la musique, mais se pâme en écoutant la sonate de Vinteuil, à la grâce de Mme de Guermantes, à Swann bien sûr. En vérité, Proust sera toujours pour moi du côté de chez Sion. Mais voilà qu’en cette année 2022, soit un siècle après sa mort, resurgissent comme s’il en pleuvait des Petits Marcel de tous bords et du nôtre, Proust du côté juif (Antoine Compagnon, éditions Gallimard), l’exposition «Marcel Proust, du côté de la mère » (mahJ), dédiée à sa famille maternelle et à sa nombreuse lignée dont plusieurs membres périront dans les camps. Des Israélites typiques de cette France-là, de riches industriels aux prénoms bien bibliques (Ephraïm, Baruch, Abraham), et pour beaucoup d’entre eux francs-maçons. La mère, Jeanne Weil, vénérée par notre auteur, ne se sera jamais convertie, mœurs modernes de cette drôle d’époque où l’on condamne des innocents au bagne, mais où les revues israélites abondent et siègent au milieu de la cité : Menorah, La Revue juive, Palestine. L’antisémitisme est de bon ton et fait fureur dans les salons bourgeois : Drumont et Barrès récoltent toutes les palmes de l’horreur.

Retournons à Sion où je rencontre Antoine Compagnon en 2007 pour un colloque organisé à l’université de Tel Aviv (« Les intellectuels français et Israël »). Nous parlons pendant des heures de littérature, et je le retrouve là palpitant entre ces pages si près de Proust, et si loin aussi. Comme une mystérieuse partition, il faut y trouver les bonnes clefs tant son livre est dense. Déchiffrer ce judaïsme enfoui, latent qui explose parfois chez Proust dans un cri : l’affaire Dreyfus en sera un moteur et elle est citée plus de 256 fois dans La Recherche, il est farouchement dreyfusard, bien évidemment. Retenons cette célèbre lettre adressée à Robert de Montesquiou durant l’affaire : « Si je suis catholique comme mon père et mon frère, par contre ma mère est juive ». Il semblerait à y voir de plus près que cette filiation est beaucoup plus importante qu’il n’y paraît, et notamment par cet amour qu’il porte à son grand-père Nathé Weil, figure centrale de son enfance. Celui-ci est alors malade quand il écrit : « Il n’ y a personne, pas même moi, puisque je ne peux me lever, qui aille visiter, le long de la rue du Repos, le petit cimetière juif où mon grand-père, suivant le rite qu’il n’avait jamais compris, allait tous les ans poser un caillou sur la tombe de ses parents. » Et puis il y a l’œuvre si heideggérienne au fond puisqu’il n’est question que de l’angoisse du temps qui passe, où les personnages imprégnés de judaïsme comme Swann, Rachel, Bloch, racontent une autre histoire profonde et cachée, mais pleine d’amour, pour ce peuple et son histoire, celle aussi du petit Marcel accroché aux jupes de sa mère au visage hiératique, et dont les yeux noirs reflètent les clartés éternelles.

Exposition au mahJ du 14 avril au 28 août Renseignements : mahj.org

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