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Marc Touati : « La France est aujourd’hui prise à son propre piège »

La déclaration de guerre à l’Ukraine et les sanctions immédiates des pays occidentaux vont forcément impacter l’économie mondiale.
Pour analyser la situation, Actualité Juive a rencontré l’économiste et auteur, Marc Touati.


Quels sont et seront les répercussions de la guerre en Ukraine sur le pouvoir d’achat des Français ?

Marc Touati : Les répercussions commencent à être visibles au travers de la flambée du coût des matières premières. La Russie est le premier exportateur de gaz et de blé et le deuxième de pétrole. Il y a donc un mouvement spéculatif à la hausse, a fortiori avec un embargo. Et, au-delà de l’aspect humanitaire qui est dra-matique, cette guerre arrive après deux ans de blocage de nos économies dû au coronavirus qui a généré une inflation très forte. Comme les salaires n’augmentent pas, à l’aune de la hausse des prix, mécanique-ment nous avons une baisse du pou-voir d’achat.
S’il y a moins de pouvoir d’achat, il y a moins de consommation, s’il y a moins de consommation, il y a moins de croissance et s’il y a moins de croissance il y a moins d’emploi… C’est un cercle pernicieux qui risque de se mettre en place et plus ce conflit durera longtemps et plus les risques seront élevés. Si je prends le cas de la France, les deux années qui viennent de s’écouler, nous avons dépensé sans compter et la dette publique a augmenté de 500 milliards d’euros.

Est-ce que la Banque centrale européenne, qui est déjà intervenue, peut le faire à nouveau ?

M.T. : La dette publique dont je vous parlais a effectivement été financée par la Banque centrale européenne (BCE) au travers de la planche à billets qui est une sorte de perfusion. Sauf qu’aujourd’hui, comme il y a trop d’inflation, la BCE ne peut plus intervenir. Elle peut juste avoir une politique monétaire ultra-accommodante et cela reste très limité. Logiquement, les crises arrivent environ tous les 10 ans, mais là, à cause de la pandémie du coronavirus, la France a utilisé toutes ses cartouches. Aujourd’hui, malheureusement, dans beaucoup de pays de la zone Euro, dont la France, on a dépensé toutes nos munitions. Ce qui n’est pas le cas de pays comme Israël ou la Russie par exemple.

Du coup, est-ce que la France est parée pour se remettre d’une deuxième crise successive ?

M.T. : Nous ne sommes plus du tout armés pour affronter une nouvelle crise. Les différents candidats à la présidentielle disent tous « on va lâcher les milliards », mais ça ne tombe pas du ciel. Il y a deux évolutions po-tentielles dangereuses.
D’une part, l’inflation continue de monter ce qui va casser le pouvoir d’achat et on ne va rien gagner, d’autre part, comme on est surendetté les taux d’intérêt vont flamber. Lorsque les taux d’intérêt augmentent cela casse la croissance, l’économie et la consommation. Nous sommes, aujourd’hui, pris à notre propre piège. La dette publique française est actuellement de 120% du PIB alors qu’en Allemagne elle n’est que de 70%.
Ces derniers ont été beaucoup plus parcimonieux et se retrouvent avec une plus grande marge de manœuvre. Par ailleurs, pendant deux ans, les Français se sont habitués aux aides mais il faut qu’ils comprennent qu’avec cette nouvelle crise cela ne pourra plus fonctionner de cette façon. Nous sommes déjà sur un sommet des dépenses publiques, la France étant même numéro un mondial dans ce domaine.

Vous avez l’air très alarmiste et pessimiste. La France peut-elle devenir une nouvelle Grèce ?

M.T. : Non, je n’irai pas jusque là. Mais je le répète, nous avons pris un risque gigantesque en augmentant notre dette publique de quasiment 500 milliards d’euros sur deux ans. Et on va bientôt atteindre 3 000 mil-liards d’euros. Les années à venir seront plus compliquées car nous allons devoir payer la facture.

En imposant des sanctions à la Russie, telle l’exclusion du réseau Swift, est-ce que les pays occidentaux ne se sont pas tirés une balle dans le pied ?

M.T. : Complètement. Je vais dire quelque chose d’horrible, mais la Russie est beaucoup plus préparée que nous à ces sanctions. Je par-lais tout à l’heure de la dette publique française qui est à 120% du PIB, la Russie n’est qu’à 20% ! Mais on s’est aussi tirés une balle dans le pied bien avant en devenant, à l’instar des Allemands, trop dépen-ants du pétrole et du gaz russes. À la limite, en France, on a la chance d’avoir le nucléaire qui nous permet d’être un petit peu moins dépendants. Puisqu’on parle de Swift, les banques russes qui n’ont pas été radiées du réseau sont celles qui travaillent avec l’Allemagne par exemple pour le gaz ou le pétrole pour permettre ces livrai-sons. Ce qui est fou, c’est que durant cette crise, les recettes liées aux matières premières venant, chaque jour, de Russie sont de 650 millions d’euros. Indirectement, l’Europe finance cette guerre. Il est clair que si on fait un embargo total sur la Russie, cette dernière pourra tenir quelques mois, avec des réserves de change très im-portantes (4ème mondiale) mais au bout d’un moment elle va s’effondrer. En fait, tout dépendra de la Chine qui est en manque de matières premières et qui pourrait accepter un deal en finançant la Russie qui serait alors sauvée. C’est un jeu géostratégique extrêmement dangereux.

Propos recueillis par Laurent Cohen-Coudar

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