Culture

Cédric Kahn : « L’incandescence de Pierre Goldman »

CINÉMA Cédric Kahn aime les personnages à la marge. Sa filmographie nous le rappelle : Roberto Succo,L’ennui, Vie sauvage… Le Procès Goldman est son dernier portrait. Un remarquable film dont il nous parle bien…

Qui était Pierre Goldman ?

Cédric Kahn : C’était un activiste de gauche. Un type brillant comme intellectuel et orateur, assez brutal et bagarreur. Un personnage complexe, blessé, mélancolique, sans doute par le fait d’être fils de parents communistes juifs polonais qui ont émigré en France juste avant-guerre. Ils ont participé à la Résistance.
Pierre Goldman était très admiratif de ses parents, vivant avec leur mythe. Il était très traumatisé par la Shoah.


Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de raconter cette partie de son histoire ?
C.K. : J’ai toujours fait des films sur des personnages un peu limite. J’aime bien les héros charismatiques et fracassés. Il doit y avoir une part de moi (rires). Cette histoire, je l’ai découverte par le livre de Goldman, Souvenirs obscurs d’un Juif polonais né en France (Points), quelque chose me touche et m’effraie aussi. Il y a beaucoup de zones d’ombre. J’avais aussi l’occasion de réaliser un film sur la parole, la dialectique, la justice, la recherche de vérité. Et l’idée d’un film de procès me plaisait aussi beaucoup.


Qu’entendez-vous par zones d’ombre ?
C.K. : Jusqu’à aujourd’hui, on a encore une part de doute. On ne sait pas s’il a commis ces meurtres ou pas. Certaines de ses différentes versions peuvent poser question.
Dans votre film, on trouve plus de faits avérés ou de fiction ?
C.K. : Il y a beaucoup de faits avérés et quelques libertés. Ce ne sont
pas des libertés avec la vérité, mais certaines scènes créées pour les besoins du film comme celle du début entre les avocats Kiejman et Chouraqui.


Est-ce un biopic ?
C.K. : Non, je n’aime pas les biopics. Ici, c’est un moment-clé, mais ce n’est pas sa vie. Certes, à travers le procès, on peut découvrir sa vie.


Aviez-vous envie de raconter les années 70 en France ?
C.K. : J’avais envie de raconter le procès. Ce qui me plaît, c’est que c’est une mini-représentation de la société. La teneur des débats raconte une époque. On constate qu’elle n’est pas si différente de maintenant. Je crois qu’il existe des mouvements de fond dans la société française assez constants. De nos jours, on ferait allusion à une France mélenchoniste versus une France lepéniste. On voit bien qu’il y a les élites contre ce que l’on appelle le peuple. Pour moi, le peuple, c’est tout le monde, on va dire les gens plus populaires. On a aussi d’autres oppositions comme la province contre Paris, les Blancs et les immigrés, les travailleurs et les intellectuels…. Toutes ces frontières qui traversent la société française, on voit dans le procès qu’elles sont déjà là. Goldman est soutenu par toute l’intelligentsia parisienne, les bobos et les people de l’époque. Les témoins, les gens qui viennent dire leur vérité sont des gens simples, traités de racistes, un peu ridiculisés par l’avocat Georges Kiejman. On voit cette fracture représentée dans le procès.


La thématique juive est très présente, c’est réel ou un parti pris ?
C.K. : C’est très présent dans les écrits de Goldman. Il en parle beaucoup, cela l’obsède. Ses parents sont très présents dans son histoire. Il se repentit de ce qu’il est devenu par rapport à l’héroïsme de ses parents. Ce n’est pas une exagération, cependant il y a un intérêt pour moi. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai fait ce film. Cela me parle, je suis de la génération d’après, issue de la même histoire que Kiejman et Goldman. Je connais ce dont il parle, ces récits-là, je les ai aussi dans ma famille.


Votre identité juive, comment la définiriez-vous ?
C.K. : Il faudrait passer du temps pour en parler. Comme le judaïsme de n’importe qui, il est complexe. Chacun a un rapport particulier au judaïsme. Mes deux parents sont juifs et très différents. J’ai plutôt été élevé dans un milieu juif de gauche très éloigné de la tradition et de la religion. Je n’en ai pas parlé dans mes autres films. Je ne m’identifie pas qu’à cela, je suis plein d’autres choses. Mais voilà, avec l’âge et le temps qui passe, j’étais content d’en parler. Je trouve que l’antagonisme entre Kiejman et Goldman dit beaucoup de la judaïté, sur qu’est-ce que c’est qu’être juif ? Goldman est le Juif maudit, mélancolique, qui porte en lui toute cette tragédie ; Kiejman est résilient, il a transformé cela en force. De mon côté, je ne suis pas pratiquant, mais je me sens complètement juif.
Je fais le lien avec l’histoire de mes parents, de mes grands-parents. Ce serait ridicule de nier mon identité, j’ai même un physique d’Israélien. Eu égard à Israël, je suis touché par ce qui s’y passe, mais je ne m’y sens pas chez moi. J’essaie de répondre honnêtement. J’ai fait des films très variés qui reflètent l’universalité acquise à la maison parentale.


Quel est l’enjeu du film ?
C.K. : Basiquement, le procès est la recherche de la vérité. L’enjeu du film, ce sont des portraits : celui de Goldman et des avocats. Chacun est combattant de sa propre vérité, se bat avec ses armes, le langage en est une. Derrière ce langage, on découvre des fragilités, des ombres et des ambivalences. Le film représente aussi un hommage à la justice. Elle est rendue par les femmes et par les hommes, et c’est difficile. Elle est humaine, donc pas parfaite.

Vous l’aimez, Pierre Goldman ?

C.K. : J’apprécie beaucoup certains aspects comme son incandescence, son originalité, ses provocations. Je le trouve surprenant dans sa façon de penser. Je l’admire, je peux même avoir un peu de fascination. Mais j’aime moins certains traits, son côté brutal, manipulateur, ambivalent. Je l’aime et je ne l’aime pas. n Propos recueillis par Robert Sender

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