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Rav Haïm Kanievsky, le dernier des maîtres

Le rav Haïm Kanievsky s’est éteint le 18 mars 2022, à l’âge de 94 ans. Ce géant de la Torah laisse une œuvre majeure, et un vide immense dans le monde haredi.

Il avait toujours refusé les honneurs, les fonctions et les titres. Haïm Kanievsky dont le nom était toujours suivi des épithètes les plus déférentes – « Génie de la Torah », « Grand de sa génération », « Maître de la Torah » – appartenait à l’aristocratie du monde haredi.

Fils du Steipler, une des plus grandes figures du judaïsme de Pologne, neveu du Hazon Ish, plus haute référence de la halakha du XXe siècle, le rav Kanievsky avait choisi de mener une vie à l’opposé de son statut social. Presque reclus, c’est dans son modeste appartement de Bnei Brak, dans la banlieue de Tel Aviv, qu’il a consacré toutes ses forces intellectuelles associées à une mémoire phénoménale, à l’étude et à l’écriture de commentaires et de traités de loi juive. Rav Haïm Kanievsky s’est imposé comme une autorité supérieure, hors de la hiérarchie, sans charisme, mais par la seule puissance de son intelligence. Contrairement aux pratiques en usage dans le monde haredi, il se comportait plus comme un leader hassidique, ouvrant sa maison à tous ceux qui se pressaient pour le rencontrer. Car ce maître était aussi une figure populaire. D’ordinaire, les rabbins du courant haredi ne rendent leur réponse à une question halakhique qu’après y avoir mûrement réfléchi.

Ceux qui allaient consulter le rav Kanievsky repartaient avec leur réponse, toujours accompagnée d’une bénédiction. Dans l’escalier du 24 rue Rashbam, deux files d’attente se formaient dès le matin, une pour le rav Kanievsky, l’autre pour son épouse, surnommée « Baba Batsheva », dont la parole faisait aussi autorité.

Le rav Haïm Kanievsky a occupé une place unique dans la mesure où il a été le lien entre le judaïsme lituanien de l’Europe d’avant la Shoah et sa renaissance après la guerre, dans le contexte historique du rétablissement de la souveraineté de l’État d’Israël. Il n’est pas question de sionisme dans la pensée du rav Kanievsky, mais ses commentaires juridiques sont largement consacrés aux implications du retour du peuple juif en Israël et de la re-mise en œuvre des commandements qui n’avaient plus été pratiqués durant la période d’exil. Même loin de la vie publique, son nom était connu du monde haredi, dont le rav Elazar Menahem Shakh – son chef spirituel jusqu’aux années 90 – disait de lui qu’il était ce qu’il y a de « plus grand que nous ayons dans ce monde ». Et la parole du rav Kanievsky a coïncidé avec une période particulièrement complexe pour le courant ultra-orthodoxe. Il restait celui qui incarnait la « confiance dans la parole des Sages » et la « connaissance de la Torah », la ligne conservatrice consensuelle destinée à main-tenir la cohérence du monde haredi, confronté à la division et à la modernité.

Sa seule intervention d’ordre politique a été pour dénoncer la scission du courant radicalisé, dit de « Jérusalem » contre le courant de « Bnei Brak » dont il restait le chef de file. Le rav Kanievsky a rendu des avis sur des questions aussi variées que les téléphones portables, le service militaire ou les études profanes, en restant toujours dans la ligne conservatrice, qu’il exprimait clairement.

En 2017, à la mort du rav Steinman, le rav Kanievsky doit assumer la place de chef du courant orthodoxe lituanien, qu’il partage avec le rav Gershon Edelstein. Et c’est avec l’éruption de l’épidémie de Covid, que son nom atteint le grand public. D’abord opposé à la fermeture des écoles comme précaution sanitaire, il change rapidement de position après avoir entendu les responsables politiques et de santé publique. Et c’est le rav Kanievsky qui appellera sa communauté à suivre les consignes et à se vacciner. Avec sa disparition s’ouvre une nouvelle épreuve pour le monde haredi lituanien, de l’ampleur de la disparition du rav Ovadia Yosef pour le monde orthodoxe séfarade, qui cherche du côté de ses représentants politiques de quoi compenser l’absence d’une figure rabbinique d’exception.

Par Pascale Zonszain

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