Communauté

Les hassidim de New York

En décembre 1944, un train entier de Juifs hongrois quitte le camp de Bergen-Belsen, à la suite de négociations avec les nazis et le paiement d’une rançon de 1 000 dollars
par personne. Parmi eux, les Satmar (qui viennent de Satu Mare en Transylvanie) avec leur Rebbe, Joel Teitelbaum. Les Loubavitch, eux, ont gagné les États-Unis dès 1940. L’Amérique, c’est désormais la Terre promise des hassidim jusqu’à l’arrivée du Messie. Aujourd’hui, la communauté hassidique de New York compte 200 000 membres, soit 10 % de la population juive de l’État. Elle refuse d’entrer dans la société américaine, à la différence des Juifs orthodoxes. Elle suit les règles et le mode de vie du shtetl. Leurs membres prient dans leurs synagogues, ouvrent leurs écoles et leurs bains rituels, parlent entre eux le yiddish et refusent l’anglais (la langue des goyim) ou l’hébreu (la langue sacrée). Ils se sont établis dans leurs quartiers de Brooklyn et dans la banlieue de New York. Kyrias Joel rassemble 15 000 Satmar. Les fidèles d’un autre Rebbe sont établis à New Square. Les Loubavitch sont regroupés à Crown Heights, dans Brooklyn. Tous résistent aux influences extérieures. Ils maintiennent des traditions, des modes de vie, des pratiques qui remontent au XIXème, voire au XVIIIème siècle. Et qui rappellent les shtetls de la vieille Europe. Leurs yeshivot témoignent de l’intensité de la vie juive, telle qu’ils la souhaitent. Pourtant, une enquête récente du New York Times suscite la polémique. Dans les quatre dernières années, les hassidim de New York ont bénéficié de subventions publiques – environ 1 milliard de dollars pour faire fonctionner leurs écoles. Sans qu’il y ait eu le moindre contrôle des autorités scolaires sur le fonctionnement de leurs établissements. En 2019, les responsables hassidiques ont accepté que leurs élèves passent un examen de connaissances dans deux domaines fondamentaux : la lecture et les mathématiques. Mille élèves ont été testés. Aucun n’a répondu correctement aux tests. Dans ces conditions, à quoi l’argent public a-t-il servi ? Que deviennent ces élèves qui n’ont pas reçu l’enseignement minimal qui leur permettrait de s’intégrer dans la société américaine ? L’ignorance de la langue anglaise, n’est-ce pas l’origine des poches de pauvreté, qui touchent plus encore les garçons que les filles qui, elles, ne sont pas élèves des yeshivot ? Les lois de l’État garantissent à tous et à toutes une éducation minimale. Ne sont-elles pas violées dans ces écoles, aux dépens d’une jeunesse qui restera inadaptée, condamnée à vivre d’expédients, exclue de la société américaine ? L’enquête du New York Times ne laisse planer aucun doute. Les élèves des écoles hassidiques sont privés d’un véritable enseignement, fût-il rudimentaire. La lecture et le calcul ne sont enseignés que 90 minutes par jour, quatre jours par semaine. Encore cet enseignement n’est-il destiné qu’aux garçons de 8 à 12 ans. Leurs professeurs d’anglais, mal payés, recrutés à la va-vite, sans diplômes pour la plupart, ne sont pas capables de tenir une conversation en anglais. En revanche, à l’école comme chez eux, dans toutes leurs relations sociales, le yiddish est la seule langue que l’on parle. Les smartphones et les ordinateurs sont interdits. Les élèves, dépourvus d’une connaissance élémentaire de la langue des goyim, confinés dans les yeshivot, pourront-ils trouver un emploi et subvenir aux besoins de leurs familles nombreuses ? S’ils quittent la communauté, ils tombent souvent
dans l’alcoolisme et la consommation des drogues. On apprend aussi que des élèves sont maltraités, qu’ils sont frappés avec des bâtons ou des fouets. Il est même arrivé que la police doive intervenir.
Les hassidim bénéficient de leurs bonnes relations avec le monde politique. Ils votent dans tous les scrutins, presque toujours pour les candidats démocrates.
Les élus peuvent compter sur leur fidélité. En conséquence, des liens étroits les unissent les uns aux autres. Il ne faut pas attendre des responsables de la vie scolaire dans l’État et à New York, eux-mêmes élus, qu’ils surveillent, moins encore qu’ils sanctionnent les écoles séparatistes et leurs insuffisances. Les politiques ne manquent pas de répondre qu’il ne leur appartient même pas d’interroger les directeurs ou les professeurs de ces écoles. Quant aux enseignants et aux directeurs des écoles, ils obéissent aux rabbins qui dirigent les communautés. Seul l’enseignement religieux mérite leur attention. Les familles sont tenues de compléter les revenus des yeshivot, en puisant dans leurs maigres ressources et les aides sociales qu’elles reçoivent. Avec, toutefois, des nuances qu’on relève d’une communauté à l’autre, car il n’existe pas de système unifié chaque groupe tient à son indépendance.
La municipalité, l’État, voire les autorités fédérales, ont-ils le devoir d’intervenir ? La vie religieuse doit-elle être réglementée, si l’ordre public est menacé ? Au XIXème siècle, les mormons ont dû renoncer à la polygamie pour créer leur État. Plus récemment, les amish ont été contraints de fixer à 16 ans, et
non à 14 ans, le terme de l’âge scolaire. Pourquoi les hassidim ne seraient-ils pas dans l’obligation de parler l’anglais, ne fût-ce que pour participer intelligemment à la vie politique ? Voilà une question qui n’a pas fini d’enflammer les Juifs de New York, et d’ailleurs. André Kaspi

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