Judaisme

Écouter pour mieux voir

On dit volontiers de la civilisation occidentale qu’elle est celle de l’image. Le cinéma, la télévision et Internet justifient en partie cette assertion. Le flux d’images dans nos maisons et à l’extérieur est aujourd’hui quasiment ininterrompu. L’image est devenue un outil de communication et d’ex-pression, autant qu’un argument publicitaire qui a pour finalité la vente. En témoigne par exemple le logo marketing « Vu à la télé », apposé sur des produits de consommation pour décider à l’achat les plus hésitants.
Comment sommes-nous arrivés à ce triomphe de l’image ? Dans la Grèce antique, où la dialectique était pratiquée pour faire avancer les dé-bats d’idées, il semble que les philosophes regardaient les images avec une certaine circonspection. On pourrait en trouver un exemple avec le célèbre « mythe de la caverne » de Platon, qui nous enseigne que les images sont trompeuses et nous gardent prisonniers de nos illusions.
L’eidos n’est pas l’eidolon, les idées ne sont pas des images car elles ne peuvent être pro-duites que par l’intelligence. Ce qui n’est pas le cas des images, qui véhiculent des opinions, émotions et sentiments, et sont le plus souvent dirigées par une intention. Créatrices d’illusions, les images exercent une force persuasive puissante qui joue sur nos mécanismes intérieurs, souvent peu connus de nous. Elles trouvent écho dans la partie irrationnelle, « humaine, trop humaine », selon Bergson, de notre âme. Alors comment combat-tons-nous ces images envahissantes ? Par d’autres images ! L’image apporte néanmoins de l’information, comme l’illustre « Le poids des mots, le choc des photos ». Catherine Chalier, dans son livre Sagesse des sens, estime que la philosophie occidentale valorise le sens de la vue tan-dis que la tradition hébraïque privilégie celui de l’ouïe. Car, dit l’auteur, « Lorsque les hommes sont attentifs à l’appel de Dieu, ils doivent renoncer à le voir et à le représenter ». La seconde Parole du Décalogue enjoint à l’homme de ne pas adorer d’image, quelle qu’elle soit, mais de privilégier le sens de l’ouïe : « Écoute Israël, l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est Un » (Deutéronome 6,4).
« Tout le peuple vit les voix. ». Selon Emmanuel Levinas, ce célèbre verset lié au don de la Torah, loin de constituer une atteinte au bon sens, signifie « entendre l’audible, entendre un dire, ne plus chercher l’in-connu sous des formes visibles, ne plus les saisir comme image ».
Car voir l’audible, conclut Levinas, « ce serait la voix de-venue écriture ! ».
Le langage parlé (la Torah orale) et le langage écrit (la Torah écrite) invitent à prendre le temps de les passer au crible de nos facultés critiques.
Prendre le temps de l’étude, de l’analyse permet de se faire une opinion « à froid ». Néanmoins, condamner l’image reviendrait à s’enfer-mer dans un dogme et une « vision » intellectuelle restreinte.
Pour comprendre le monde et le message divin, nous avons besoin de la totalité de nos sens, à condition de les filtrer par la raison. L’image n’est ni bonne ni mauvaise en soi, c’est l’utilisation que nous en faisons qui suscite l’inquiétude.

Article écrit par Mikaël Journo

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