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Au Salvador, le douloureux combat pour le droit des femmes

San Salvador. 21 juin 2021. A l’énoncé du verdict, Mariana s’effondre. Incarcérée depuis 18 mois, elle est apparue très affaiblie à son procès et n’a cessé de pleurer, silencieuse, tout au long des audiences. Quarante ans de prison pour meurtre aggravé sur son propre bébé. Ce n’est pas inhabituel dans ce petit État d’Amérique centrale. Mais c’est presque deux fois son âge. Quand elle sortira, en 2061, elle aura 63 ans.
Certes, Mariana n’avait pas voulu de ce bébé. Elle ne connaissait rien de son père, pas même son nom, ni même son visage. Juste l’odeur entêtante de son parfum bon marché et la froideur d’une lame du couteau contre sa gorge quand il l’a violée un soir, au pied de son immeuble. Ses cris n’ont alerté aucun voisin dont la lumière perçait pourtant à travers les fenêtres. Dans ces quartiers pauvres gangrenés par l’ultra violence des gangs, la police ne se déplace pas et personne ne se risquerait à devenir un héros. Ici, le struggle for life n’est pas qu’une expression.
Quelques semaines plus tard, elle se découvre enceinte de son violeur. Double peine. Garder le bébé ? Dans la balance, plusieurs éléments pèsent lourd. La religion catholique très présente,
les traditions profondément ancrées, mais probablement plus encore la peur. La peur de la prison dans un pays qui interdit strictement l’avortement et le punit lourdement, quelle qu’en soit la raison. Qu’importent les malformations congénitales, le danger pour la santé de la mère ou celle du bébé à naître, qu’importe si celui-ci est le résultat d’un viol. Au Salvador, seules les plus riches peuvent se le permettre, et encore, en secret et à l’étranger. Pour les autres, l’immense majorité, le risque d’un avortement est la prison ou la mort. « Las ricas abortan, las pobres mueren1 » comme le taguent les opposants sur les murs. Alors Mariana n’avorte pas et son ventre s’arrondit au gré des semaines. Elle ignore les regards désapprobateurs et les commentaires méprisants dans cette société encore très archaïque. Et pendant toute sa grossesse, elle continue à travailler dans une raffinerie de pétrole, debout pendant 10 heures, 6 jours sur 7, pour 15 jours de congés payés par an. Ses demandes de pause et de masques de protection contre les vapeurs d’essence et de solvants restent vaines. Elle ne se plaint pourtant pas. Elle n’est pas la seule mère célibataire à trimer ainsi pour un salaire de misère. La fatigue est intense, les crampes et les étourdissements se multiplient mais elle tient bon. Jusqu’à ce matin, quelques semaines avant terme, où prise de violentes douleurs abdominales et de saignements importants, elle s’écroule à terre et est transportée inconsciente à l’hôpital.

Elle se réveille le lendemain dans une chambre blanche, percluse de douleurs. Elle n’est plus enceinte. Son bébé, mort-né, lui a été enlevé. Devant elle, une infirmière et un policier la regardent, impassibles. Sa main est menottée au barreau de son lit. Par crainte d’être considérée comme complice d’un avortement, l’équipe médicale a appelé la police. « C’est la loi et c’est ce que nous devions faire », a déclaré la direction de l’hôpital. Pourtant Mariana n’a pas avorté. Elle a fait une fausse-couche probablement due à ses conditions de travail harassantes, aux conditions d’hygiène déplorables et au rythme infernal qui lui était imposé.
Peu importe. Ce n’est pas un docteur qui vient la voir mais un procureur qui la poursuit. Non pour avoir avorté, mais pour meurtre aggravé par négligence : elle n’a pas su prendre soin de son enfant à naître et assurer sa sécurité. Kafka n’aurait pas fait pire. Moins d’une semaine plus tard, elle est transférée directement de l’hôpital à la maison d’arrêt dans l’attente de son procès. Aux traumatismes du viol et de porter un bébé de la honte se sont ajoutés ceux de la fausse couche et de la prison. Une quadruple peine pour une jeune femme innocente. Aujourd’hui, pendant la longue attente de son procès en appel, Mariana purge sa peine dans un établissement pénitentiaire surpeuplé où la violence est quotidienne. Celle que l’on surnomme la « tueuse de bébé » est mise au ban par des codétenues brutales qui l’ont déjà agressées à plusieurs reprises devant des surveillantes apathiques. Dans ce milieu particulièrement hostile, Mariana est seule et ne voit que son avocat. Les visites de la famille, bien qu’autorisées, n’ont jamais lieu parce qu’elles sont payantes et la prison trop éloignée. Depuis 20 ans, ce sont 180 salvadoriennes qui, elles aussi, ont été victimes de fausse-couche et pourtant condamnées à de lourdes peines. Certaines, avec l’aide d’ONG et d’avocats, ont réussi à être libérées en multipliant les expertises médicales et les recours pour faire reconnaître leur innocence. Alors Mariana se bat pour pouvoir, un jour et dès que possible, être l’une d’elles et retrouver sa vie, à défaut de toutes ces années volées. Oudy Ch. Bloch Avocat aux Barreaux de Paris et New-York

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