France/Politique

Laurence Ferrari « Le combat contre l’islamisme est difficile, ardu et exigeant »

ENTRETIEN Depuis le début de la guerre, la journaliste Laurence Ferrari rappelle tous les soirs en démarrant l’émission Punchline (du lundi au jeudi, de 17h à 19h, sur CNews, en co-diffusion sur Europe 1 la deuxième heure), les noms des otages franco-israéliens retenus par le Hamas, avec une émotion chaque fois renouvelée. Rencontre avec une femme de valeur, amie de la communauté juive.

En France, vous êtes la seule journaliste à rappeler quotidiennement le sort des otages retenus depuis maintenant trois mois et dont on est toujours sans nouvelle. A-t-il été difficile de mettre ce rappel en place ?
Laurence Ferrari : Absolument pas. Il m’a paru évident de le faire et Serge Nedjar, le directeur général de CNews, a d’emblée accepté que je le fasse. Tous les soirs donc, à 18 heures, je rappelle le nombre de jours de détention et je donne les prénoms des otages, ceux qui ont la nationalité française, parce qu’il est diffi cile de donner celui des 136 otages toujours retenus. On montre leurs visages. En tant que journaliste, mais avant tout en tant que citoyenne française et être humain, il me paraît indispensable qu’on ne les oublie pas. Et on continuera à rappeler leurs noms aussi longtemps que nécessaire.
Cela va faire cent jours qu’ils sont détenus. S’habitue-t-on à donner ainsi leurs noms chaque soir à l’antenne ?
L.F. : Non, je suis émue à chaque fois que je donne leurs prénoms. Le fait de ne plus prononcer
celui d’Élia Toledano, après avoir appris, le 15 décembre, qu’il était mort, a été un moment difficile. À chaque fois que je prononce leurs noms, je vois des visages, des êtres humains, une histoire, une famille… Il ne s’agit pas juste de visages que l’on montre de façon désincarnée. Ce sont des gens qui comptent pour nous.

Depuis le 7 octobre, vous incarnez un journalisme de combat. Le ressentez-vous, vous aussi, ainsi ?
L.F. : Je me place plus sur le registre des valeurs. Les valeurs d’humanité, de fraternité, de solidarité, d’universalité… Ces valeurs que personne ne devrait ignorer. Je suis très heureuse d’être sur une chaîne et dans un groupe qui nous permettent de le faire et qui nous soutiennent dans cette optique-là. Le fait
qu’il y ait une telle disproportion dans l’univers médiatique entre le sort que l’on a pu réserver à d’autres otages – ceux du Liban par exemple où le service public montrait tous les soirs leurs visages – et le décalage avec ce qui se passe aujourd’hui, m’était apparu insupportable. J’ai tenu, en tant que journaliste, mais aussi en tant que citoyenne, à apporter ma petite pierre à l’édifice. Celui de dire que l’on n’oublie pas les otages et que l’on réclame tous les soirs leur retour et leur libération sans négociation.
Est-ce difficile, selon vous, d’être aujourd’hui audible sur ces valeurs ?
L.F. : Dans notre groupe, je ne rencontre aucune difficulté. On a, en revanche, le sentiment d’être seul à porter ces paroles-là. Mais les gens s’en rendent compte, au vu des audiences que réalise CNews aujourd’hui et de la remontée d’Europe 1. C’est une voix que l’on continuera à porter dans l’univers médiatique, cet univers que je trouve très monochrome, uniforme et ancré dans la pensée dominante. De notre côté, on continuera à dire que ce qu’il s’est passé le 7 octobre est un pogrom et que le Hamas est un groupe terroriste.
Comment comprenez-vous l’absence d’engagement, a minima, de certains de vos confrères aujourd’hui ?
L.F. : Je ne l’explique pas. Je les fréquente assez peu. Peut-être ont-ils des indignations à géométrie variable. Il y a évidemment des combats plus faciles à mener que d’autres.
Se battre contre l’islamisme est beaucoup plus dangereux que se battre contre telle ou
telle formation politique. Les professeurs en savent quelque chose. Nombre de chroniqueurs présents sur nos plateaux le savent aussi et sont placés sous protection policière. Alors oui, évidemment, le combat contre l’islamisme – puisque c’est de cela dont on parle – est difficile, ardu et exigeant.
Est-ce uniquement une question de courage ou ne voit-on pas, véritablement, les choses pour ce qu’elles sont ?
L.F. : J’ai envie de répondre les deux. Je pense qu’il y a un manque de courage fondamental, puis un aveuglement idéologique.
Fin novembre, une vidéo du Hamas a laissé sous-entendre que la famille Bibas aurait été assassinée. En rapportant cette information, non confirmée par Israël, on vous a sentie submergée par l’émotion. Vous attendiez-vous à avoir une telle réaction ?
L.F. : L’idée même que Kfir, ce petit bébé qui vient d’avoir un an, puisse avoir été abattu par ces monstres m’a littéralement soulevé le cœur. On est tous, depuis le 7 octobre, soumis à une charge émotionnelle très lourde, et ceux qui sont concernés en premier lieu. Mais nous autres, journalistes, qui visionnons ces images, qui les expurgeons, qui tentons de les raconter, il y a des moments où l’on peut se laisser submerger par l’émotion. Et étant mère de famille, l’idée d’imaginer ce petit bébé et son frère de quatre ans aux mains des terroristes et l’éventualité même qu’ils aient
pu être tués m’a, effectivement, bouleversée.
Peut-on, doit-on, lorsque l’on est journaliste, garder l’information à distance ?
L.F. : Il n’y a pas de dogme en la matière. Il faut toujours être conscient que le drame qui arrive aux autres n’est pas le vôtre. Mais il y a de l’empathie, de la solidarité, de l’humanité. On a le droit d’exprimer nos sentiments. On doit être professionnel mais cela n’empêche pas une forme d’humanité. Cette humanité-là, je ne la réfreine pas. Je veux que les téléspectateurs, les auditeurs comprennent que leur émotion est la mienne et que la mienne est parfois la leur. Le journalisme est aussi un échange.
L’antisémitisme fait partie des sujets qui reviennent régulièrement dans les débats de Punchline. Comment analysez-vous sa persistance ?
L.F. : Je pense qu’une nouvelle forme d’antisémitisme se fait jour en France. Avant-guerre, il y avait un antisémitisme ancré qui a laissé place à un antisémitisme lié à l’extrême gauche. Cela est apparu clairement lors des manifestations qui ont suivi le 7 octobre. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai tenu à participer à la marche contre l’antisémitisme et pour la République du 12 novembre et que j’ai regretté très fortement l’absence du président de la République, alors que cette cause ne devait pas faire l’ombre d’une hésitation. L’antisémitisme a changé de nature, a changé de visage, mais il est toujours aussi présent. On en est à plus de 1500 actes antisémites depuis le 7 octobre, soit une augmentation exponentielle. C’est inadmissible. C’est un des cancers de notre société qui préfigure tous les autres « ismes », car l’antisémitisme mène au terrorisme, à l’islamisme. C’est un combat universel à mes yeux.
On commémore les attentats de janvier 2015. Comment expliquer que neuf ans après, l’esprit Charlie ne soit pas aussi puissant qu’il devrait l’être pour condamner ce qu’il s’est passé le 7 octobre dernier ?
L.F. : Je pense qu’il y a une partie de peur dans la population.
Une peur de l’islamisme et du terrorisme. Charlie préfigurait le Bataclan, qui préfigurait l’attentat de Nice et toute une série d’attaques au couteau qui ont endeuillé notre pays au fi l des années. Cette peur est bien présente au sein de notre société française. Et puis, il y a quelque chose qui est de l’ordre d’une idéologie rampante, qui fait que l’on a tendance, pour certains partis politiques, à légitimer l’antisémitisme. Je regrette qu’il n’y ait pas eu plus de monde à la grande marche du 12 novembre, mais cela ne veut pas dire pour autant que les Français ont abdiqué ce combat-là. Je crois qu’il y a une communauté française qui se tient aux côtés de nos compatriotes juifs. Je le dis souvent dans mes éditos. On ne vous oublie pas, on est à vos côtés. La communauté nationale n’a pas tourné le dos à la communauté juive. Nous formons une même communauté bien sûr, la communauté française.

Êtes-vous inquiète pour l’avenir de la cohésion de notre société ?

L.F. : J’ai envie de vous dire non. Je crois que si des gens comme moi, mes proches, savent se rassembler autour de valeurs essentielles, alors non, je ne suis pas inquiète. Il faut croire en l’avenir et surtout en un avenir en commun. Je sais que les chiffres de l’Alyah ont énormément augmenté depuis le 7 octobre, mais il faut se dire que l’on est un peuple, une nation, et que l’on peut faire bloc. Il y a effectivement des moments de désespoir, d’inquiétude, de grand pessimisme. Des fractures dans la société française et des moments de grand déchirement, notamment autour de la religion, qui font que l’on se dit que l’on n’y arrivera pas. Mais, dans le fond, j’ai confiance dans le peuple français. On est une grande nation et je pense que l’on peut faire nation encore. Il y a juste besoin de se réveiller.

Vous évoquiez les chiffres de l’Alyah. Comprenez-vous cette volonté de quitter la France ?

L.F. : Oui, je la comprends vraiment. Il y a d’abord l’idée d’aller dans ce pays, Israël, aujourd’hui menacé dans son essence même par le Hamas et les autres groupes terroristes qui l’entourent. C’est très noble de vouloir aller se battre aux côtés de ses concitoyens israéliens. D’autres font sans doute aussi aujourd’hui le chemin inverse, en se disant que rester en Israël est dangereux. Je crois qu’il faut mener le combat des deux côtés, en France et en Israël. L’un n’est pas antinomique de l’autre. On est encore un pays qui a des valeurs et qui, j’espère, pourra continuer à les défendre. ■ Propos recueillis par Laëtitia Enriquez

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