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Gouverner autrement : oui, mais encore ?

L’’intéressé éclate de son rire sonore de mousquetaire lorsque l’information lui parvient sur son lieu de vacances à l’étranger : « L’Élysée s’amuse… » Arnaud Montebourg à Matignon ? L’information a circulé tout au long du jour d’après la réelection d’Emmanuel Macron.

Un « canard » selon le surnom donné par les journalistes sur ce que l’on appelle une « fake news » de nos jours ? Partiellement vraie, cette éventualité, lorsqu’on creuse les dessous de cette possibilité baroque. « L’Élysée croit que c’est nous qui faisons circuler cette histoire alors que nous sommes persuadés que cela part de chez eux », confie un proche conseiller de l’éphémère candidat.
La réalité jette une lumière sur la crainte qui s’est répandue chez Emmanuel Macron à quelques en-cablures du premier tour. L’intrépide candidat-président a été pris de peur de voir la candidate du RN prendre la tête de la compétition. Les reports ne sont pas bons, un record d’abstention menace. Il décide alors de renforcer la vague des appels à voter Emmanuel Macron dès le premier tour, une campagne essentiellement digitale. Arnaud Montebourg est appelé. Comme d’autres. Mais avec lui, la conversation prend un autre tour. Emmanuel Macron teste une possibilité. Lorsqu’il sera réélu, il devra surprendre et rassembler avec des personnalités inattendues et capables d’incarner le « gouverner autrement ». Jean-Pierre Chevènement, le vrai coach du président réélu, lui a soufflé le nom de Montebourg : l’entrepreneur souverainiste du miel et des amandes made in France est un pragmatique de gauche, issu de la Saône-et-Loire, truculent, solitaire et… très virulent contre Emmanuel Macron dans son livre L’engagement, où il qualifiait Emmanuel Macron de « transformiste » et de « Brachetti de la politique ». Arnaud Montebourg, Premier ministre du contrepied pour inaugurer le Macron 2 ? Toute la Macronie tord le nez mais exprime son appréhension : « Maintenant qu’« il» a réussi cet exploit d’être réélu, « il » fait ce qu’il veut désormais … ».

Les prochains jours lèveront le voile sur cette énigme : qui pour mettre en musique cette victoire historique aux allures d’un d’échec non moins historique ? Après cinq ans de pouvoir macroniste, l’extrême droite n’a jamais été aussi haute en France. L’abstention s’enracine et devient une attitude politique assumée. La société est fracturée et figée. Certes, Emmanuel Macron est rentré dans le livre des records : premier président qui se succède à lui-même, hors cohabitation, après avoir été élu à moins de 40 ans, sans passé ni parti politique. Sa réélection parachève la recomposition politique. L’exploit est incontestable. Il comporte sa face sombre : l’extrême droite a été notabilisée, élevée au rang de parti d’alternance tout au long du quinquennat. C’était la condition pour être réélu, Emmanuel Macron l’a compris dès 2017. Pour arriver à ses fins, il s’est attaché à fracturer la droite avec force et méthode.
« Il ne sait pas construire. En revanche, il est doué pour détruire », admet un proche conseiller, admiratif de la façon dont Emmanuel Macron s’est employé à fracasser son adversaire Marine Le Pen en tapant de toutes ses forces sur son « in-compétence » et « son appartenance à un clan d’extrême droite ». Emmanuel Macron a remporté le scrutin mais a perdu politiquement, vingt ans après la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle. « Notre pays est au bord du gouffre et s’est encore rapproché du vide », assène Yannick Jadot, candidat EELV à la présidentielle. Régulièrement, Emmanuel Macron le reconnaît : « J’ai échoué à réconcilier les Français avec leurs dirigeants », disait-il dès 2018. Résultat : la France est le pays de toutes les fractures. Démocratique, économique, sociale, territoriale, générationnelle. Emmanuel Macron a été réélu clairement mais sans élan. La soirée de sa victoire a résumé cette situation : un décor construit pour les images des chaînes de télévision venues en masse filmer un parterre de militants macronistes sur des airs de disco, le soir où la France a célébré sa passion triste : la résignation.
Plutôt Emmanuel Macron, « le suffisant », que le risque Le Pen, « l’insuffisante ». L’orgueil étant souvent l’autre face de la virtuosité, les Français ont choisi leur inconvénient. C’est la vraie mécanique du second tour de l’élection présidentielle qui ne clarifie plus une situation politique.

Les Franco-Israéliens plébiscitent Emmanuel Macron à 86%

Avec 86% des suffrages exprimés, Emmanuel Macron s’est imposé sans conteste comme le candidat des Français résidant en Israël, qui n’ont donc pas suivi les consignes de vote d’Éric Zemmour. Le candidat d’extrême droite avait obtenu 53 % des suffrages exprimés par 10% des votants lors du premier tour chez les Franco-Israéliens. «J’ai voté pour Éric Zemmour et soutenu sa campagne ici sans me poser de questions, raconte Michaël, mais de là à voter pour Marine Le Pen, il y a un pas trop important à franchir ».
Ils sont donc bien peu nombreux ceux qui ont suivi les consignes de vote de leur candidat au premier tour parmi les quelque 60 000 Français inscrits en Israël (hors Jérusalem). À Tel Aviv, Emmanuel Macron a obtenu 91,1% contre 8,89% pour Marine Le Pen. À Haïfa, le président sortant est monté à 87,13 % contre 12,87% pour Marine Le Pen. À Netanya et à Ashdod, la candidate d’extrême droite a obtenu plus de 20% des suffrages exprimés. A Jérusalem, où on comptait 1951 votants sur 17826 inscrits, Emmanuel Macron a recueilli 86,66 % des suffrages contre 13,34 % pour Marine Le Pen. Le taux global de participation pour ce second tour état de 11%, soit très légèrement supérieur à celui du premier tour. Israël fait partie de la 8e circonscription des Français de l’étranger qui compte aussi les Français de Chypre, de Grèce, d’Italie, de Malte, de Saint-Marin et de Turquie. 1 264 000 Français expatriés votent depuis tous les pays du monde.

Cap sur les législatives

La preuve dans cette soirée électorale qui a tourné la page en quelques minutes de la présidentielle pour se jeter dans la bataille des législatives. Avec une première décision claironnée par Marine Le Pen : « Je poursuivrai mon engagement pour la France et les Français ». Traduire : elle reste candidate à tout. À commencer par l’Assemblée nationale où elle veut retrouver un siège, condition essentielle pour exister et mener le combat contre Reconquête. Éric Zemmour, grinçant et pragmatique, a tendu la main pour une réconciliation politique en appuyant sur le point sensible pour Marine Le Pen : après huit défaites de la famille Le Pen, il est patent que le nom Le Pen est un métabloquant pour les Français. Les résultats en Israël l’attestent : les électeurs ont placé Éric Zemmour en tête au premier tour pour sa radicalité d’extrême droite et malgré ses dérapages (Pétain, Sandler). Mais ils ont voté Macron par re-fus de donner leurs voix à une candidate portant le patronyme de Jean-Marie Le Pen.
Pendant ce temps, les électeurs d’outre-mer, qui sont des cibles régulières des attaques racistes en raison de la couleur de leur peau, ont placé Marine Le Pen largement en tête face à Emmanuel Macron. Ce vote confirme l’ancrage social de Marine Le Pen qui s’affirme comme un vote de classe. La France des pauvres et du RSA a voté Le Pen. Les personnes âgées ont voté Macron, les jeunes Mélenchon et Le Pen. Le paysage politique français a changé définitivement avec la disparition du PS et de LR. Les trois pôles incarnés par Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron vont trouver leur expression à l’Assemblée nationale.
Il n’y aura ni état de grâce, ni cent jours pour les premières mesures. L’exécutif craint des tensions sociales car l’élection n’a réglé aucun des problèmes des Français.
Le président réélu ne pourra plus se présenter en 2027. Dimanche soir, Édouard Philippe, en froid avec le président, en a pris acte. N’étant pas invité à l’Elysée pour assister aux résultats. L’ancien Premier ministre s’est rendu au Champ-de-Mars et s’est livré à une longue séance de bain de foule, en direct sur les chaînes d’info. Sur le lieu appelé du nom du dieu de la guerre, la bataille pour l’après-Macron a d’ores et déjà commencé.

Article écrit par Michaël Darmon et Eve Boccara

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