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Entretien : Samuel Sandler « Pour nous, cela fait dix ans tous les jours »

Pour le père de Jonathan Sandler, grand-père d’Arié et de Gabriel Sandler, la plus grande crainte est que l’on puisse un jour oublier ses enfants.

Dix ans après le drame, peut-on vous demander comment vous allez?
Samuel Sandler : Lorsque l’on me pose la question de savoir comment je vais, j’ai l’habitude de répondre que moi, au moins, par rapport à Jonathan, Arié et Gabriel, je suis en vie. Dix ans après leur assassinat, leur absence marque toujours autant. On en parle beaucoup en ce moment mais pour nous, cela fait dix ans tous les jours. Le plus éprouvant, ce sont les anniversaires et les dates de bar-mitzva qui passent et que l’on ne célèbre pas. Ce sont les moments les plus durs. Plus durs encore que les procès. Gabriel aurait dû célébrer sa bar-mitzva le 11 septembre dernier.

Leur absence vous accompagne en permanence…
S.S. : Oui, je pense toujours, toujours à eux. Que ce soit à la maison où leurs photos sont partout, à la synagogue et dans les écoles où je témoigne de temps en temps. Devant les classes de première, je me rends compte que ce sont des jeunes qui ont l’âge qu’aurait dû avoir Arié aujourd’hui.

Craignez-vous qu’un jour, on arrête de penser à  eux ?
S.S. : C’est là mon obsession. J’ai passé mon temps à lutter contre l’oubli. J’ai fait mienne une phrase d’Élie Wiesel disant : « Le terrorisme tue toujours deux fois. La seconde fois par l’oubli ». Je me rassure, toutefois, en voyant la façon dont les gens se mobilisent pour marquer les dix ans de leur disparition. Je me dis que pour les vingt ans, ce sera sans doute pareil. Je suis aussi particulièrement touché par l’action menée par l’Amitié judéo-chrétienne et son président, Jean-Dominique Durand, faisant de la journée du 19 mars une journée nationale de lutte contre l’antisémitisme (voir encadré). C’est une initiative que je trouve remarquable et qui permettra de lutter contre cet oubli qui m’angoisse. Cela dit, en donnant leurs noms à  des allées, à  des squares, à  Toulouse, comme à Paris et à Versailles, on a aussi fait en sorte que l’on ne puisse pas les oublier.

Pensez-vous que les actions contre le racisme et l’antisémitisme peuvent permettre d’éviter que ce genre de drames ne se reproduise ?
S.S. : Ces horreurs se sont, hélas, ensuite reproduites. Il y a eu l’attentat de l’Hyper Cacher puis les assassinats de Sarah Halimi et de Mireille Knoll. Je crois malheureusement que les maîtres à penser sont toujours là et même qu’ils prolifèrent. Et sans doute à Toulouse plus qu’ailleurs. Je suis très choqué par cet imam qui n’a eu aucune pudeur ni sentiment de compassion (Mohamed Tataïat, poursuivi en appel pour avoir, dans un proche, appelé les musulmans à  tuer les juifs – NDR). Il y a quelques années, j’avais écrit un petit article sur cette ville que je connais bien pour m’y être rendu souvent dans le cadre de mon travail d’ingénieur en aéronautique. Je disais espérer que « Toulouse redevienne le Toulouse de Monseigneur Saliège – le premier à avoir dénoncé les persécutions des juifs pendant la guerre – et celui de Saint-Exupéry ».

La ville de Toulouse porte une dimension particulière dans ce drame…
S.S. : C’était pourtant une ville que Jonathan aimait beaucoup.

Après avoir eu son bac à Ozar Hatorah, il y était resté poursuivre ses études supérieures de sciences économiques. Il était ensuite parti en Israël parce qu’un professeur à qui il avait expliqué qu’il ne pouvait pas passer son examen le chabbat lui avait répondu que s’il n’était pas content, il n’avait qu’à partir en Israël. Il l’avait donc pris au mot. Lorsqu’il est revenu en juillet 2011 à Toulouse avec Éva et les enfants, il était très content d’être là, à nouveau. Moi, je me rappelle encore très bien la première fois où je suis venu à Ozar Hatorah pour l’inscrire, en juillet 1997. J’avais été très étonné par la présence de toutes ces barrières métalliques devant cette école qui se trouvait dans une petite rue si calme. Je me demandais si tant de sécurité était nécessaire ici…

Jonathan, Arié, Gabriel et Myriam sont toujours dans notre esprit. Qu’est-ce que vous aimeriez que l’on fasse pour perpétuer leur mémoire ?

S.S. : Que l’on se souvienne d’eux. Il arrive parfois que je rencontre des personnes à qui le nom de Sandler n’évoque rien. C’est extrêmement douloureux.

Parfois aussi, lorsque l’on me présente à quelqu’un qui n’exprime aucune réaction, on prononce le nom
de l’assassin pour me resituer.
Là, tout le monde se souvient de son nom à lui et c’est bien le plus terrible. C’est quelque chose qui s’est souvent produit et c’est pour cela que j’ai peur qu’on les oublie. Jusqu’à présent, je le dis franchement, j’étais dans une sorte de déni. Bien sûr, je savais qu’ils reposent au cimetière à Jérusalem mais je refusais d’accepter ce qui s’était passé parce que c’était impensable. J’avais fixé une image d’Arié à l’âge de cinq ans et lorsque je vois la taille de ceux qui ont l’âge qu’il devrait avoir, je prends conscience et c’est extrêmement douloureux.

On se souvient que l’ensemble de la société ne s’était pas spécialement mobilisée au lendemain du drame. Pensez-vous que dix ans après, on a pris conscience de la gravité des faits ?

S. S.: Après l’attentat, il n’y a eu que très peu d’officiels musulmans qui ont témoigné de leur solidarité. Seuls le président de l’Association des Musulmans de Versailles et l’imam Chalghoumi répondent toujours présent.
Les autres, on ne les voit pas et je ne me l’explique toujours pas.

« Jusqu’à présent, je le dis franchement, j’étais dans une sorte de déni. »

Aucun représentant musulman n’avait accepté de venir lors de l’inauguration du square à Toulouse. Je n’arrive pas à comprendre comment on a pu en arriver à une situation pareille. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, mes parents avaient ouvert le foyer israélite pour permettre aux étudiants de manger cacher. Quand plus tard, pendant la guerre d’Algérie, le foyer musulman a été visé par une bombe, mes parents recevaient beaucoup d’étudiants musulmans qui voulaient manger halal. Moi- même, en tant que président de la communauté juive de Versailles,
j’ai toujours assisté à toutes les réunions interreligieuses. Le jour du mariage de Jonathan, au premier rang de la synagogue se trouvait aux côtés du préfet une délégation de la mosquée. Comment expliquer aujourd’hui toutes ces absences?

Propos recueillis par Laëtitia Enriquez

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