CultureFrance/Politique

Amélie M. Chelly : « Le burkini est une revendication politique et un non-sens total »

Comment appréhender la menace islamiste et comprendre ce qui oppose sunnites et chiites sans avoir une connaissance ou du moins une explication référentielle juste et précise des concepts théologiques et idéologiques ? C’est le travail auquel s’est attelé l’iranologue et politologue du monde musulman à travers un dictionnaire dense et essentiel.

Actualité juive : Est-ce une erreur de parler de l’islamisme au singulier ?
Amélie M. Chelly : C’est une erreur sans en être une. En France, nous sommes confrontés à un, voire deux types d’islamisme alors qu’il y en a des centaines. L’islamisme étant une idéologisation de l’islam, il convient d’employer le pluriel car tout comme il existe plusieurs lectures dans la religion islamique, il existe autant de versions idéologiques de ces branches. Ainsi, les deux principales branches qui sont les sunnites et les chiites vont produire des islamismes très différents avec des points d’achoppement mais aussi des points diamétralement opposés, voire ennemis si l’on pense à l’idéologisation du chiisme telle que la République islamique d’Iran et le wahhabisme saoudien la revendiquent. La seule raison pour laquelle il n’y a pas plus de confrontation violente est parce qu’il existe un seul point d’accord entre elles qui est le Hajj, le pèlerinage à la Mecque.

L’anecdote que vous racontez en introduction de votre dictionnaire rappelle cette nécessité d’avoir une connaissance fine des thématiques islamiques pour comprendre la menace qui plane sur l’Occident…
A.M.C. : En effet, et c’est la raison pour laquelle on peut être surpris, voire choqués, de trouver parfois dans le renseignement pénitentiaire ou parmi les agents qui luttent contre l’islamisme, des personnes qui viennent de ces milieux. L’anecdote que je raconte est celle d’un aumônier belge qui a entendu un jour un prisonnier dont tout le monde disait qu’il était déradicalisé chanter un hadith d’appartenance des Frères musulmans et donc djihadiste. C’est là qu’il s’est rendu compte qu’il était peut-être en « taqiya », c’est à dire en dissimulation. Une fouille inopinée de sa cellule finira par donner raison à cet aumônier. De la même façon, si sur les réseaux sociaux, des personnes sont censées faire la police et n’arrivent pas à repérer certaines expressions idiomatiques qui font partie du jargon islamiste, peut-être qu’elles ne sauront pas comment repérer les agitateurs potentiellement dangereux.

La détestation du Juif et du croisé pourrait-elle être le dénominateur commun à tous les courants qui constituent l’islamisme ?
A.M.C. : Absolument pas. Pour les talibans, qui pratiquent une sorte d’islamisme hybride doté d’une vocation universaliste et locale à la fois, le Juif n’est pas une figure importante. D’un point de vue purement doctrinal, le Juif et le croisé ne sont pas dans les préoccupations de Daech originellement, mais dans celles des Frères musulmans al-qaïdiens. Au départ, Daech c’est un anti-chiisme virulent. Ce sont des takriri, c’est-à-dire ceux qui sont favorables à exclure de la communauté de l’islam tous ceux qui n’ont pas leur lecture à eux, au premier des rangs desquels les chiites. Le problème est de savoir aussi s’adapter au lieu où l’on recrute. Et si l’on veut recruter en France ou en Belgique, par exemple, il va falloir activer des leviers de détestation locale. L’antisémitisme en est un.

Vous apportez une définition de la burqa où vous expliquez notamment que ce vê-tement a pour objet de cacher l’impureté de la femme. Quel regard portez-vous sur les polémiques concernant l’autorisation du burkini en France ?
A.M.C. : Je dirai deux choses. D’une part, qu’il n’y a pas de burqa non-idéo-logique en France. Les populations musulmanes présentes ici sont issues d’une immigration provenant de pays où la burqa n’existe pas. Désirer la porter exprime bien une revendication identitaire. On est donc dans une idéologisation de l’islam et non pas dans un islam. Quant au burkini, il incarne un non-sens total. Quand on porte la burqa, on ne va pas à la piscine ou à la plage car on ne se met pas dans une posture où l’on pourrait croiser le corps dénudé d’un homme. Cela n’est pas envisageable. Il s’agit donc d’une revendication politique pour maintenir la société dans une instabilité et dans une aspiration révolutionnaire perpétuelle. Ainsi, si la burqa n’est pas un vêtement spécialement promu par les Frères musulmans, la technique qui consiste à encourager quelque chose qui est de l’ordre de l’incohérence pour rester dans un débat public instable est bien une technique qui est la leur. Propos recueillis par Laëtitia Enriquez

Dictionnaire des Islamismes Éditions du Cerf 596 pages. 30 euros

Supplément du journal

Petites annonces

Votre annonce ici ? Ajouter mon annonce

Publicités

Bouton retour en haut de la page

Vous ne pouvez pas copier le contenu de cette page