Alexandre Adler : « Téhéran a commis toutes les avanies possibles »
Notre éditorialiste, spécialiste des relations internationales, décrypte les intentions du régime de Téhéran, en embuscade et par ailleurs, aux abois.
Que s’est-il passé, vraiment, au cours de la semaine, entre Israël et les combattants djihadistes de Gaza?
Alexandre Adler : Ne nous méprenons pas. Certes, Gaza, même enchâssée et surveillée par la puissance
israélienne, ne devrait pas constituer une menace existentielle quelconque pour l’État hébreu. Dans ce contexte de crise intense, la mission et la vocation de ceux qui ont en charge vingt-quatre heures sur vingt-quatre la sécurité d’Israël consiste, d’abord, de façon préventive, à envisager les hypothèses les plus effrayantes et dangereuses. Or, malgré des offensives répétées et combinées des services secrets et des sabotages tels que le virus informatique Stuxnet, l’Iran s’obstine. Téhéran, de façon désespérée, a commis, ces dernières années, toutes les avanies possibles, mais finit par se retrouver à la portée de la mise en œuvre d’une arme nucléaire.
Comment le régime iranien, pour déglingué et affaibli qu’il puisse paraître, peut-il se lancer dans la violence généralisée ?
AA : Interrogeons nous sur le grand “mage” de la folie furieuse au siècle précédent, Adolf Hitler. Une Armée rouge ivre de revanche après les destructions insensées qu’avait subies l’URSS a pu être paradoxalement quasi encouragée par Hitler quand il misa ses dernières ressources de blindés dans l’offensive des Ardennes, cherchant à ralentir l’offensive occidentale sur les frontières de l’Allemagne. Hitler attendait tout des nouveaux missiles V1 et V2 qui plurent sur le ciel de Londres, voire des V3 en cours d’élaboration à Peenemünde, censés devoir traverser l’Atlantique pour s’écraser sur New York. Dans sa dystopie régressive, le dictateur nazi attendait tout des armes nouvelles. Les premiers avions à réaction firent leur entrée ravageuse juste avant la capitulation, et des usines enterrées préparaient des sous–marins à longue portée ainsi que des hélicoptères…
Quels points communs avec l’Iran actuel des Gardiens de la révolution ?
AA. : Oui, quelle est donc la comparaison qui s’impose d’emblée entre la stratégie de priorité à la technologie d’une Allemagne nazie presque balayée de la scène historique, en 1944, et l’Iran de 2023 ?
L’Iran a, de toute évidence, perdu la bataille dans sa zone d’influence* et ne contrôle plus ses minorités, dès lors que l’Azerbaïdjan, avec l’alliance israélienne, fait tout ce qu’il veut à Tabriz et même dans le bazar de Téhéran. Alors, comment ce régime qui a perdu tous ses paris stratégiques, se prépare-t-il néanmoins à faire exploser l’esquisse récente de paix dans la région ?
*avec le basculement de l’Irak, chiite mais anti-islamiste du grand ayatollah
Justement, au-delà du retournement de l’Arabie saoudite, l’Iran cherche-t-il à ébranler les nouvelles alliances d’Israël, de l’Égypte aux Émirats?
Aujourd’hui, en effet, l’Arabie saoudite , le Maroc ou l’Égypte ne songent pas véritablement à se retourner contre Israël alors que les fruits de la coopération stratégique du dialogue avec l’État juif commencent
un peu partout à être recueillis. Ces fruits sont multiples, de la création du célèbre goutte à goutte à l’usage de l’eau produite par désalinisation partielle. Les dirigeants modérés de ces pays – du Maroc à Bahreïn ne souhaitent pas renoncer à ces progrès. Néanmoins, la combinaison d’une opinion surchauffée par l’antisémitisme populaire, et d’un engrenage mal maîtrisé de provocations iraniennes pourrait,
aussi, provoquer, tel un véritable tsunami, une révocation pure et simple des « accords d’Abraham »
par ses signataires historiques de 2020, pour ne pas parler d’un évanouissement définitif de l’horizon
de la reconnaissance diplomatique d’Israël par l’Arabie. Telle est la raison pour laquelle Israël doit, chaque
minute, prévoir l’issue la pire, afin d’en éviter la survenue. Et ce, même si notre raison mais aussi notre foi nous apprennent à faire confiance à l’avenir… Alexis Lacroix
