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Le débat : Yonathan Arfi / Ariel Amar

C’est depuis Marseille, lundi 13 juin, que les deux candidats à la présidence du CRIF ont répondu aux questions d’Actualité Juive. Un face-à-face instructif et passionnant. Si les deux hommes présentent des visions similaires sur la place du judaïsme français dans la société et le soutien à l’État d’Israël quand son image ou sa sécurité sont menacées, ils affichent de nettes différences en ce qui concerne la gouvernance et le leadership de l’institution. Rencontre avec deux prétendants qui ont appris à se connaître mutuellement au cours de cette campagne et qui se sont affrontés dans le respect et dans un esprit constructif.

Pouvez-vous vous présenter l’un et l’autre et expliquer le sens de votre candidature pour la présidence du CRIF ?

Ariel Amar : J’ai 57 ans. Je suis né au Maroc où j’ai vécu jusqu’à l’âge de 18 ans, avant d’arriver en France. Ce pays m’a accueilli et m’a tout donné. J’ai pour lui une reconnaissance infinie. Pendant mon adolescence, j’ai fréquenté les mouvements de jeunesse juifs et évolué à l’UEJF, au DEJJ et aux EI. Je suis actuellement président de l’Association des pharmaciens juifs de France et de l’Association France-Israël. À l’origine, les pharmaciens juifs de France étaient une organisation spécifiquement juive, mais je l’ai plus ou moins transformée en une association professionnelle dans laquelle près de la moitié des membres ne sont pas juifs. France-Israël, quant à elle, est une association apolitique et non communautaire dont le but est de réunir à la même table des juifs et des non-juifs pour rapprocher les sociétés civiles française et israélienne.
En ce qui concerne le CRIF, j’y milite depuis quinze ans. J’ai été conseiller de Richard Prasquier et de Roger Cukierman et j’ai présidé la commission Île-de-France, chargée de garder le lien avec les communautés. Tout le monde a été surpris par ma candidature. Mon nom ne circulait pas parmi les candidats potentiels. J’ai souhaité apporter une autre sensibilité. J’ai fait le constat que le CRIF était devenu moins lisible et moins audible dans la communauté juive et, plus largement, dans la société civile, y compris auprès des pouvoirs publics. Mon projet est de recentrer le CRIF sur son objet statutaire car il s’en éloigne trop souvent. Autrement dit, je souhaite un CRIF qui lutte contre l’antisémitisme et qui porte la voix de la communauté, y compris la voix de ceux qui n’y adhèrent pas, un CRIF qui défende l’existence de l’État d’Israël et je dis bien l’État, non pas le gouvernement, car ce sont deux choses différentes ; un CRIF, enfin, qui veille au respect des droits de l’homme partout où ils sont menacés. Ces trois objectifs ne sont ni opposables, ni antinomiques.

Yonathan Arfi : D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu une conscience juive extrêmement aiguë. J’ai grandi dans une famille juive séfarade, biberonné à l’école publique et à la fréquentation de la synagogue de Versailles où j’ai évolué à la fois au Talmud Torah et aux EI. Puis j’ai été secoué de plein fouet, comme beaucoup de juifs de France, par la seconde Intifada. L’histoire du juif que je suis aujourd’hui – un juif de combat, un militant juif car c’est ainsi que je me définis maintenant -, c’est l’histoire de cette collision entre un judaïsme harmonieux qui se vivait naturellement dans la République avant la seconde Intifada et le commencement du nouvel antisémitisme, à l’orée des années 2000. Cette collision a profondément changé la condition juive en France et révélé des défis auxquels nous faisons toujours face, vingt ans après.
Ma candidature à la présidence du CRIF est donc l’aboutissement de ce parcours : la vision d’un judaïsme engagé pour la défense des juifs et d’Israël, mais également impliqué dans la société car je suis convaincu que les juifs de France ont quelque chose à dire à la société tout entière, tant dans l’intérêt du judaïsme français que dans l’intérêt général. J’ai centré ma candidature sur trois axes principaux : un CRIF de proximitéet d’unité pour la communauté, un CRIF de combat contre la haine des juifs et d’Israël, un CRIF engagé dans le dialogue avec la société. Sur le plan personnel, j’ai 42 ans et je suis père de trois enfants. Diplômé d’HEC, je suis chef d’entreprise dans le conseil et l’immobilier. J’ai été président de l’UEJF de 2003 à 2005 et suis engagé aujourd’hui à l’Alliance israélite universelle, à l’OSE et à l’ECUJE. Je suis entré au CRIF en 2001. J’ai été conseiller de Richard Prasquier et vice-président du CRIF de 2014 à il y a quelques semaines.

Comment analysez-vous les tensions politiques survenues au cours de la campagne présidentielle ? Et quelle lecture faites-vous du résultat du premier tour des élections législatives (l’entretien a été réalisé lundi 13 juin – Ndr) ?

Ariel Amar : Je vous répondrai très brièvement. Nous avons la preuve, aujourd’hui, que le populisme est, hélas, porteur. L’ère qui s’ouvre sera marquée par de grandes turbulences et le CRIF aura un énorme rôle à jouer.

Yonathan Arfi : Je suis frappé par la tripartition de la France sur le plan politique : tripartition entre une extrême droite qui est sortie renforcée par les deux derniers scrutins, une extrême gauche qui a absorbé la gauche modérée, et un socle républicain qui s’est étiolé. Depuis plus de deux cents ans, les juifs ont une alliance vitale et décisive avec la République. Aussi suis-je inquiet par l’affaiblissement des partis républicains car il fait peser de lourdes menaces sur l’avenir du judaïsme français. Il interroge la condition juive dans la société française.

Revenons sur une séquence marquante de la campagne présidentielle : la séquence Éric Zemmour. Selon vous, le leadership communautaire a-t-il trop diabolisé ce candidat, laissant dans le même temps courir le danger représenté par l’extrême gauche, qui se déploie aujourd’hui ?


Yonathan Arfi : David Ben Gourion, pendant la Seconde Guerre mondiale, avait eu cette formule. Il expliquait qu’il fallait soutenir les Britanniques « comme s’il n’y avait pas de Livre blanc et s’opposer au Livre blanc comme s’il n’y avait pas de guerre ». Nous avons, aujourd’hui, des ennemis de toutes parts. La question n’est pas de savoir si on a trop ou pas assez diabolisé Éric Zemmour, mais ce qu’on aurait pu faire de plus pour que la prise de conscience contre Jean-Luc Mélenchon soit plus forte. Le rôle du CRIF, dans le débat public, est un rôle d’alerte. Nous l’avons fait face à l’extrême droite et face à l’extrême gauche. Je rappelle que le CRIF a été le premier, il y a vingt ans, à dénoncer l’alliance « rouge-brun-vert » et à pointer du doigt la menace d’un glissement d’une partie de la gauche vers l’antisémitisme.

Ariel Amar : La technique de la diabolisation n’est jamais payante, j’en suis convaincu. On ne diabolise pas le diable. Le devoir du CRIF – et je suis d’accord sur ce point avec Yonathan – est d’éclairer et d’informer. Mais pas de diaboliser et de donner des consignes de vote, bref d’infantiliser la communauté. C’est méconnaître la sensibilité de la communauté juive. Notre rôle est d’éclairer sur des éléments factuels, sur les bases d’un programme. Ensuite, les électeurs décident. Je pense que nous sommes allés trop loin.

Avec le recul, ce positionnement du CRIF contre Éric Zemmour était-il regrettable et, par ailleurs, a-t-il fait l’objet d’un consensus au sein de l’organisation ?


Ariel Amar : J’ai découvert ce positionnement par voie de presse, comme l’ensemble des délégués du CRIF, et cela fait partie de l’enjeu de ma candidature. Ce n’est plus supportable que la définition de la ligne politique du CRIF soit laissée à la seule appréciation du président. Cette ligne doit être définie collégialement. Nous ne devons pas infantiliser nos délégués et nos associations, elles ont leur mot à dire, chacune dans sa singularité et dans sa spécificité, y compris régionale. Malgré tout, je reste solidaire de cette décision sur le fond, que je regrette sur la forme.

Yonathan Arfi : Le CRIF n’est pas un parti politique et ne donne pas de consigne de vote, et il n’en a pas donné. Il a, en revanche, vocation à alerter sur un certain nombre de dangers, au nom des valeurs juives et de l’intérêt et de la défense des juifs de France. Il nous a semblé que l’extrême droite, même incarnée par Éric Zemmour, était porteuse de danger pour les juifs de France et que nous devions sensibiliser l’opinion publique à cela. Bien sûr, chacun restait libre dans l’isoloir de voter pour qui il souhaitait et le procès qui a été fait au CRIF de vouloir entrer dans l’intimité de chacun était un faux procès. Je voudrais, toutefois, préciser que le CRIF a d’abord été attaqué par Éric Zemmour avant de se positionner contre lui. Je pense que celui-ci avait intérêt à afficher cette hostilité et à mettre en scène une controverse avec les institutions juives de France. C’était son intérêt pour dire à l’opinion publique : « Je suis juif, mais je ne suis pas un juif communautaire ».

Cette séquence va-t-elle laisser des traces ?


Ariel Amar : Cette séquence n’a fait qu’exacerber des tensions qui préexistaient. Je ne souhaite pas penser qu’elle laissera des traces mais qu’elle nous aura, au moins, donné une leçon. Je ne suis pas de ceux qui parlent d’un divorce avec un caractère quasi irréversible. Pas du tout. La communauté a besoin de reprendre confiance en ses dirigeants.

Il faut avoir fréquenté le terrain communautaire, au contact direct des gens – ce qui est mon cas – pour s’en rendre compte. La rupture véritable est une rupture de contact entre le CRIF et la communauté. Il faut que les 270 délégués du CRIF retrouvent un rôle actif d’échange d’information ascendant et descendant. Ils ne sont jamais sollicités, je veux en faire des ambassadeurs de l’institution.

Yonathan Arfi : La question de la représentativité du CRIF est évidemment une question centrale. La légitimité de l’institution tient au contact permanent avec la communauté, que le mandat confié par les associations membres du Conseil donne au CRIF. Ce que je constate, c’est que le CRIF n’est nullement seul dans son cas. La société française dans son ensemble est traversée par une défiance institutionnelle intense et toutes les structures représentatives se voient remises en cause. Aucun représentant, aucun responsable public – que ce soient les syndicalistes, les maires, les députés, les responsables d’association – n’échappe à la crise omniprésente de la représentativité.

Comment y remédier ?


Yonathan Arfi : Je pense qu’il ne faut rater aucune occasion d’aller échanger avec des compatriotes juifs qui souhaitent nouer ce dialogue. Pour ma part, je ne sens pas de rejet du CRIF dans la communauté, mais plutôt l’aspiration à un échange plus étroit, plus fructueux et plus fréquent aussi. À nous de savoir répondre à cette attente d’une relation plus suivie, dans la diversité des territoires. La communauté ayant des visages extrêmement différents, le CRIF doit tenir compte de ce pluralisme en ne reculant pas devant l’expression des désaccords.

Ariel Amar : Sur ce point, je souhaiterais exprimer un fort bémol. La légitimité, selon moi, ne s’obtient pas avec la proximité mais lorsqu’on « colle » aux statuts et que l’on répond à l’objet statutaire. Par ailleurs, la représentativité n’est jamais un acquis définitif. Elle s’acquiert ou se perd. Elle doit donc s’entretenir. Il ne suffit pas d’avoir une soixantaine d’associations adhérentes. Le moment est venu de réorienter le CRIF et de chercher les directions et les axes d’intervention qui vont pouvoir rendre la vie plus sereine aux juifs de France et leur assurer un avenir.

Yonathan Arfi : Je suis partisan d’une poursuite de l’élargissement du nombre d’associations membres du CRIF et je souhaite que nous ayons demain, à nos côtés, de nouvelles associations représentant la vitalité et la pluralité de la communauté juive et du judaïsme français. Par ailleurs, je suis partisan que nous étendions notre maillage territorial. Nous avons, aujourd’hui, énormément de régions de France dans lesquelles le CRIF n’est pas présent. Dans les dernières décennies, de nombreux Premiers ministres, de Jean-Marc Ayrault à Jean Castex, sont arrivés à Matignon sans avoir eu l’occasion de rencontrer le CRIF dans leur parcours. Je suis certain que nous pourrions être beaucoup plus forts en identifiant à l’échelle locale des délégués capables de représenter l’institution. À mes yeux, la légitimité auprès de la communauté peut aussi être regagnée par l’action. Un président du CRIF est respecté par la communauté lorsque toutes et tous ont le sentiment qu’il est sur le front, au combat, et qu’il remplit des missions que je définirais volontiers ainsi : descendre dans l’arène pour combattre l’antisémitisme et les antisémites eux-mêmes. S’agissant des statuts, la gouvernance d’une institution comme le CRIF doit être modernisée ; cette modernisation devrait se traduire dans nos pratiques à la fois par un rajeunissement et par une féminisation. Mais aussi par davantage de collégialité. Afin de mettre le CRIF plus en phase avec notre société, il faudrait qu’un jour des associations importantes comme le Consistoire puissent rejoindre le CRIF.

Y êtes-vous également favorable, Ariel Amar ?


Ariel Amar : Je ne vous ferai pas de grandes théories et je resterai pragmatique. La place du Consistoire constitue un vrai défi. Le CRIF n’a jamais fermé la porte au Consistoire, et, à plusieurs reprises, il lui a même tendu des perches. Pour des raisons qui leur appartiennent, ils ne souhaitent pas rejoindre le CRIF. J’ai proposé au Consistoire et au Fonds social de participer à la définition de la ligne politique du CRIF, dont la parole doit être l’expression de l’ensemble de la communauté. Le bureau exécutif peut contribuer à définir la ligne politique, mais cela ne suffit pas. Maintenant, nous avons besoin de professionnaliser, d’avoir des experts qui nous accompagnent, tant dans les domaines juridique que sociologique ou de stratégie politique. Sans doute devrions-nous revoir la ligne politique à peu près tous les deux ans. Les présidents des deux organisations centrales, le Consistoire et le FSJU, doivent être associés à cette définition de la ligne, de manière à faire bloc face aux pouvoirs publics. J’inclurai aussi à ce processus de décision les présidents des grandes associations et les présidents de régions du CRIF. Vous le voyez, l’enjeu est de changer fondamentalement la gouvernance et d’éviter que ce soit le président seul qui décide de tout. Dans l’optique que je souhaite instaurer, le président devient le représentant de son institution. Une ligne ne peut être définie que si elle a été partagée et pondérée.

Mais n’est-ce pas déjà ce qui se passe dans les faits ?


Ariel Amar : J’ai plutôt le sentiment que ce qui se fait se réalise de manière informelle mais sur un mode instable et fragile. Sur la durée, nous ne pouvons travailler de cette façon. Le moment est venu d’inscrire dans le marbre les règles de notre fonctionnement. Ma priorité n’est pas tant de tout révolutionner que de revenir aux fondamentaux et de consolider cette prise de décision. Nous traversons une période épidermique pour la société française. Une décision, encadrée et pondérée de façon professionnelle, et au terme d’un processus collégial, sera infiniment mieux acceptée que si elle émane du seul président. Cela renverra aussi l’idée d’une prise en compte sérieuse des intérêts de la communauté.

Yonathan Arfi : L’ADN du CRIF, c’est précisément de mettre toutes les composantes de la communauté autour de la table, sans exclusive. En 1943, pendant les persécutions, quand le CRIF a été créé dans la clandestinité, c’était déjà l’objectif de notre association et sa raison d’être : religieux, communistes, sionistes, bundistes, toutes et tous, y ont trouvé leur place. Aujourd’hui, il est fondamental de regrouper toutes les composantes du judaïsme afin d’établir une position politique commune et partagée. C’est là notre vraie responsabilité. Cela suppose d’animer, de façon formelle, les institutions qui sont à l’intérieur du CRIF, de façon plus informelle celles qui sont à l’extérieur. Beaucoup d’institutions qui sont à l’extérieur
du CRIF en sont certainement convaincues, et sans doute appelées demain à rejoindre l’institution.

La représentativité se joue aussi sur les forces en présence à l’intérieur de l’Assemblée générale du CRIF. Or des associations actives sur le plan communautaire ont peu de voix à l’AG, quand d’autres, plus discrètes, en ont beaucoup…


Ariel Amar : Une commission « Statuts, agréments, mandats » doit veiller à l’équilibre de la représentativité ; c’est elle qui peut proposer lors de l’AG aux différentes organisations de rentrer. Il faut que nous puissions réajuster. Si certaines organisations plutôt importantes par la taille ont peu de délégués, c’est souvent par suite de la demande qu’elles ont exprimée. En revanche, certaines organisations n’ont plus aucune existence réelle ni aucune activité véritable, et pourtant, elles sont parfois davantage représentées que certaines grosses associations bien plus actives, à toutes les strates du CRIF (AG, comité directeur, exécutif…). Il faudrait revoir cela, en les incitant à réduire les mandats de façon drastique. Le regretté Roger Benarrosh était le garant de la représentativité auprès de la commission à laquelle je faisais référence à l’instant. C’est lui qui pouvait modifier les statuts pour coller le plus possible à la réalité, mais malheureusement, en dépit de mes alertes auprès du président, cette commission a progressivement vu son rôle s’étioler considérablement. L’urgence me semble désormais de redonner au CRIF une véritable structure démocratique.

Yonathan Arfi : Ce qui a toujours prévalu au CRIF, c’est un certain pragmatisme. La commission « Statuts, agréments, mandats » a pour responsabilité d’évaluer de manière dynamique les équilibres en veillant à faire augmenter en nombre de mandats les associations qui ont le plus d’activité. Nous essayons d’être le reflet le plus fidèle de la communauté. Maintenant, c’est forcément imparfait comme le sont tous les systèmes de fédération.

Ariel Amar : Le fait qu’une telle commission ait été laissée totalement à l’abandon me paraît grave.

Peut-on lutter plus efficacement contre l’antisémitisme ? Quelles seront les actions concrètes que vous mettrez en œuvre ?

Yonathan Arfi : J’en appelle à une révolution copernicienne dans la façon d’envisager le combat contre l’antisémitisme. Depuis des siècles, le système de représentation et de protection politique des juifs repose sur les fameuses alliances verticales décrites par l’historien Yerushalmi : anciennement les fameuses « alliances royales », aujourd’hui la proximité avec les institutions de la République. Nous héritons donc d’une situation où la lutte contre l’antisémitisme a reposé sur un engagement déterminé à dialoguer avec les pouvoirs publics. Face à l’affaiblissement actuel de la puissance publique, ces alliances traditionnelles du peuple juif risquent de faire preuve de moins d’efficacité. Comme une grande partie du pouvoir s’est déplacée vers la société civile, il nous faut, tout en poursuivant un dialogue étroit avec les pouvoirs publics, développer et investir de nouvelles alliances horizontales, qui nous offriront la meilleure protection à moyen et long terme. Ainsi élargirons-nous progressivement

Ariel Amar : J’ai fait le constat d’évolutions rapides, tant en matière géopolitique, qu’en ce qui concerne
la nature de la menace antisémite à laquelle nous faisons face. Le CRIF est donc à son tour amené à évoluer. Il me semble que notre organisation ne peut plus être la seule à porter le combat contre l’antisémitisme. C’est là un combat sociétal qui n’est pas uniquement celui des Français juifs, mais de tous les Français. À France-Israël, nous sommes parvenus à fédérer juifs et non-juifs autour de causes communes. Je crois qu’il faut prendre cela comme un exemple d’une sortie du « vase clos ». Le moment est venu d’envisager le phénomène sous un angle qui ne soit pas uniquement juif et dans une optique qui ne soit pas seulement celle de la victimisation. Nous devons apprendre à travailler avec le tissu associatif au sens large. Les « accords d’Abraham » et la nouvelle dynamique géopolitique qu’ils ont créée doivent être l’occasion de créer des ponts avec la communauté musulmane en France. Le Quai d’Orsay et l’opinion publique finiront par l’intégrer. Jusqu’à maintenant, le CRIF a certes manifesté la volonté de se décloisonner, mais il n’a pas su trouver les bons interlocuteurs : ce n’est ni avec les imams ni avec les ambassadeurs que nous pouvons progresser, mais avec le tissu associatif.

Croyez-vous, l’un comme l’autre, en l’avenir de la communauté juive en France ?


Ariel Amar : On n’a pas d’autre choix que de se projeter dans un avenir en France et de se battre pour avoir sa place. On ne peut pas continuer à vivre en pensant systématiquement à devoir partir. Partir où ? On aime la France et on fera tout pour y rester. En tant que CRIF, notre rôle est de porter la parole des juifs de France pour qu’elle puisse dessiner un avenir en France.

Yonathan Arfi : D’une manière individuelle, l’avenir de chacun lui appartient. Le rôle du CRIF est de s’assurer que chacun puisse faire son choix dans la plus grande sérénité sans que l’antisémitisme soit un facteur qui pèse, ou du moins, qui pèse le moins possible. Sur le plan collectif, il y aura un avenir du judaïsme français qui, je l’espère, sera le plus fructueux possible. Notre communauté juive de France est, à mes yeux, beaucoup plus forte que ce que l’on croit. Il y a aujourd’hui plus de restaurants cacher et d’écoles juives qu’il n’y en a jamais eu. Notre rôle est de réinvestir notre avenir. D’être capables de nous projeter avec détermination.

Quelle est la position du CRIF sur la lutte contre le boycott des produits israéliens ?

Ariel Amar : Le boycott est illégal. C’est une pratique qui relève du juridique et qui est facilement condamnable. Derrière le boycott, on le sait, se dessine la délégitimation de l’État d’Israël, chose qui nous permet – nous oblige – à intervenir.

Yonathan Arfi : La haine d’Israël génère de l’antisémitisme. Dès lors que cette haine cible des juifs, je me dois, demain en tant que président du CRIF, d’intervenir. D’une manière plus générale, la communauté attend du CRIF un engagement plus fort sur la défense d’Israël et la dénonciation de la politique étrangère de la France. Je milite pour que nous nous engagions sur ce terrain, de manière moins décomplexée. La politique étrangère de la France doit évoluer et il ne devrait pas y avoir de tabou à ce que les juifs, comme tous les concitoyens, s’expriment là-dessus. Cela se fera aussi au nom des intérêts de la France. Qu’est-ce que la politique pro-arabe de la France a véritablement apporté à notre pays ? Sur la question de ce bilan, le CRIF est aussi légitime à contribuer.

Quelles sont, d’après chacun de vous, les divergences fondamentales qui vous opposent ?


Ariel Amar : Je n’ai pas d’opposition frontale en tant que telle. Je constate seulement que Yonathan a été vice-président pendant huit ans et que, pendant cette période, à l’exécutif, nous avons totalement été tenus à l’écart de l’action du président. Si Yonathan devait être élu, il s’inscrirait dans une continuité et j’ai du mal à croire que les choses changeront. Je considère aussi que la gouvernance est une question de personnalité, de vécu et d’expérience de vie. J’ai quinze ans de plus que mon concurrent. Je me sens investi du devoir de changer beaucoup de choses car il faut arriver à incarner le changement. Dans une certaine mesure, je pense avoir déjà remporté mon pari qui était celui d’évoquer des sujets sur lesquels le CRIF doit changer, faute de quoi, il va dans le mur.

Yonathan Arfi : Ariel évoquait mon âge. Tout en étant le plus jeune de nous deux, je suis aussi l’un des plus anciens du CRIF aujourd’hui. Comme disait le philosophe juif français Edmond Jabès, à l’âge d’un juif, il faut toujours rajouter 5000 ans. Au CRIF, on a tous l’âge des valeurs du judaïsme et de ses combats. Entre Ariel et moi, il y a beaucoup de différences. Certaines de sensibilité, d’autres de fond. Nous avons également beaucoup de points communs parce que le CRIF construit du consensus. Néanmoins, je considère que l’on peut, demain, développer et moderniser le CRIF sans avoir à renverser la table et à insulter le passé. J’ai conscience des défis qui sont devant nous, mais je sais aussi les efforts qui ont été déployés.

Ariel Amar : Yonathan estime que l’ensemble des organisations qui composent le CRIF lui donnent mandat pour porter leur parole. Je pense, au contraire, qu’elles ne donnent pas un mandat, mais qu’elles doivent participer à la prise de décision. Il convient, selon moi, de redéfinir le rôle du président du CRIF. Je veux que l’institution redevienne la maison de tous. La lettre la plus importante de son abréviation est le « R », qui signifie Représentatif. Je veux apporter de l’air au CRIF.

Vous, élu président dimanche soir, quelle sera votre première action ?

Yonathan Arfi : Mener un audit et des consultations complètes dans trois domaines : le champ de la communauté, le champ politique et des médias, le champ de la société civile. Cela permettra de définir une feuille de route pour les trois prochaines années.

Ariel Amar : Faire un tour de France à la rencontre des délégués pour lancer cette transformation tant attendue. Aller chercher les organisations qui seront nos relais dans la lutte contre l’antisémitisme. Profiter de la dynamique des « accords d’Abraham » pour créer et favoriser des ponts d’amitié entre juifs et musulmans en France. Propos recueillis par Laëtitia Enriquez, Alexis Lacroix et Yaël Scemama

Nous remercions chaleureusement le CRIF Marseille-Provence de nous avoir accueillis dans ses locaux.

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