Richard Prasquier : Hommage à Claude Lanzmann

« Nous, les survivants, ne sommes pas les vrais témoins. C'est là une notion qui dérange, dont je n’ai pris conscience que récemment. Grâce à  l'habileté ou la chance, nous n’avons pas touché le fond. Ceux qui l'ont fait, qui ont vu la Gorgone, ne sont pas revenus pour raconter, mais ce sont eux, les engloutis, qui sont les témoins intégraux. Ils sont la règle, nous l'exception ».Ce qu’écrivait Primo Levi dans son livre testament, «les Naufragés et les Rescapés», paru en 1985, l’année même où «Shoah» sortait sur les écrans, c’était la conclusion à laquelle était arrivé Claude Lanzmann qui avait commencé son film douze ans auparavant. C’était aussi le titre du livre où il avait tout appris, la « Destruction des Juifs d’Europe », de Raul Hilberg. La vérité de l’histoire des Juifs pendant la guerre c’était l’histoire de la mort des plus nombreux et  non celle de la survie de quelques-uns. Le regard de Méduse pétrifie celui qui la dévisage. Pour ne pas la voir en face, Persée l’a vaincue en l’observant au travers des rayons réfléchis par un miroir. Un chercheur, un historien, un survivant ne peuvent  rapporter qu’en fonction d’un prisme personnel, celui de leurs concepts, de leurs expériences ou de leurs émotions. Lanzmann s’était donné une mission impossible: représenter l’affrontement avec la Gorgone, montrer l’image du monstre. Cette image, c’est «Shoah», nom  qu’il a pris à un hébreu dont il ne connaissait rien, nom qui l’avait frappé par sa brièveté et son opacité énigmatique et qui lui évitait l’usage du nom « Holocauste » aux insupportables réminiscences religieuses. Lanzmann a dit que le film Shoah était la « chose » elle-même. Ce qui pouvait paraître d’une insupportable outrecuidance, confondre le film avec l’événement qu’il décrit, (et quel événement!), doit se comprendre par cet effort à certains égards héroïque, de s’approcher au plus près de l’unicité pétrifiante, défiant toute explication, du crime le plus inouï de l’histoire humaine.Pour y parvenir il ne fallait aucune complaisance; l’interrogateur Lanzmann en même temps en dedans et en dehors de cette histoire ( en dedans car il avait vécu les dangers d’être Juif, en dehors car il n’avait perdu aucun des siens), triturait ses interlocuteurs pour en faire jaillir des jets de vérité qui alla ...

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