Quand le nouvel académicien Alain Finkielkraut recevait Actualité Juive

Votre livre, « L’identité malheureuse », est parcouru par le thème de l’identité. Mais le principal sujet de votre réflexion n’est-il pas la suprématie écrasante et sourde du présent ?   L’identité française est mise en danger entre autres choses par ce despotisme du présent. Qu’est-ce que l’identité ? C’est, comme son nom ne l’indique pas, cette part de nous qui n’est pas nous. C’est le passé, la voix des morts. On a voulu racialiser l’identité. On a cru que celle-ci se transmettait dans les gènes, qu’elle avait quelque chose d’héréditaire. Mais nous constatons aujourd’hui que cette idée de racialisation est scientifiquement fausse, politiquement et moralement non seulement dangereuse mais meurtrière. Et nous nous rendons compte aussi que la transmission ne va pas de soi. Qu’elle est un drame qui se rejoue à chaque génération. On passe le témoin mais on peut aussi bien le laisser tomber ou il peut n’être pas saisi par ceux auxquels nous le tendons. C’est ce qui se produit aujourd’hui car la communication entre contemporains prend toute la place et ne laisse rien, ou peut-être quelques miettes, à la transmission, dans cette espèce de grande ferveur technologique qui est la nôtre. L’identité est malheureuse puisqu’elle risque de ne plus avoir sa place dans le monde de maintenant où tout est maintenant.       Dans « Le Juif imaginaire » (1981), vous mettiez en avant ce qui n’était pas juif, ce qui n’était pas authentique dans la manière d’être juif au monde d’une partie de votre génération. Aujourd’hui, on a l’impression que le processus s’est inversé. Vous vous battez désormais pour mettre en lumière l’identité française, la singularité nationale, la part de France en vous également, alors que l’air du temps serait justement à l’effacement du particularisme français.     Quand j’ai commencé à me poser la question de l’identité juive, j’ai cru trouver la réponse au travers de l’identification aux victimes de l’antisémitisme. J’étais Juif comme héritier du malheur et comme individu prêt à en découvre avec tous les antisémites. Sartre me persuadait que c’était la position même du Juif authentique. Et j’ai perçu peu à peu ce qu’il y avait d’inauthentique dans cette authenticité apparente. Le malheur était arrivé à un tel paroxysme juste avant ma naissance que j’en étais totalement protégé. Cette identification m’était interdite. Le devoir de mémoire, je l’ai d’abord perçu comme un devoir de désidentification. Il fallait que je restitue la distance qui me séparait des victimes et des rescapés pour respecter ce qu’avait été leur histoire. La piété me le commandait. C’est dans ce sens que j’ai écrit « Le Juif imaginaire ». Pour ce qui est de l’identité française, le mouvement est différent. Je suis devenu Français en grande partie par l’école. Ce que je connais de la culture française, c’est l’école qui me l’a apporté, l’enseignement dont j’ai bénéficié. C’est aussi un goût des livres qui m’a été transmis par mes parents et que j’ai assouvi dans ma langue maternelle et notamment avec les grands auteurs de la littérature française. J’ai été le bénéficiaire et l’hôte – naturalisé à un an –d’une grande civilisation. Aujourd’hui, j’ai le sentiment, quand j’assume cette identité, d’acquitter ma dette. Je dois quelque chose et je le fais d’une part, face à ces individus désendettés qui se vantent de ne devoir rien à personne, d’être eux-mêmes et rien qu’eux-mêmes, face à ces individus post-modernes ; et d’autre part, face à ceux qui arrivent en France aujourd’hui pour dire aux Français : « Je suis aussi Français que vous. Etre français pour moi, c’est être un membre de la diversité française ». Je n’attends rien de bon de la dénationalisation de la société française et de sa transformation en société pluriculturelle. Je pense que tous les citoyens doivent évidemment bénéficier des mêmes prérogatives. Mais il suffit de se transporter dans un autre pays pour voir ce que l’expression « Je suis aussi Français que vous » a d’exorbitant. Si un immigré somalien ou marocain arrive en Italie et dit aux Italiens : « Je suis aussi Italien que vous », nous Français disons « Non ! ». Nous savons ce qu’est la civilisation italienne. Nous sommes attentifs à ce que ces immigrants et leurs enfants aient exactement les mêmes droits, dès lors qu’ils sont admis dans ce pays, que les Italiens dits « de souche ». Mais nous savons faire la différence entre l’hôte qui reçoit et l’hôte qui arrive. Cette différence, on voudrait, au nom de l’égalité, l’estomper aujourd’hui. Et précisément moi qui suis enfant d’immigré, moi qui suis français de fraiche date, cela me fait mal au cœur parce qu’il y va même de l’avenir de la civilisation française. Si on n’a même plus cette notion en tête, alors on ne voit pas comment une telle civilisation peut perdurer.   "Leur problème des "craignants D-ieu" n’est pas l’identité, c’est la Loi" Plusieurs thèses défendues dans « L’identité malheureuse » étaient déjà annoncées dans un de vos précédents livres, « La défaite de la pensée », publié en 1987. Pourtant, de nombreuses polémiques ont accueilli ces dernières semaines la sortie de votre ouvrage. Est-ce le signe selon vous de la nouvelle sensibilité du thème de l’identité nationale dans la société française?J’ai pourtant bien changé depuis « La défaite de la pensée ». Je ne répudie évidemment pas ce livre. Sans doute est-il une étape dans un parcours, dans une recherche, dans un effort d’approfondissement qui est lui-même affecté par les événements. Il y a eu la guerre en ex-Yougoslavie entre autres. Il y a maintenant toute la contestation dont l’identité française fait l’objet. Au fond, « La défaite de la pensée » met en scène un grand dialogue entre le romantisme et les Lumières et j’ai été conduit peu à peu à une réhabilitation partielle du romantisme ; le romantisme qui a précisément fait surgir en Europe la question de l’identité.   Si mon nouv ...

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