Moshe Kantor « L’identité juive est une part substantielle de l’identité européenne »

Depuis des décennies, il veille à préserver la vie juive en diaspora,à protéger le judaïsme européen et à renforcer sa position sur la scène internationale. À 67 ans, le Dr. Moshe Kantor, réélu président du Congrès Juif Européen en octobre 2020, est l’un des leaders les plus actifs du monde juif contemporain. Fondateur du Forum mondial de l'Holocauste, à l’origine du plus grand événement diplomatique de l’histoire de l’État d’Israël, en janvier 2020, à Yad Vashem, à l’occasion du 75e anniversaire de la libération d’Auschwitz, Moshe Kantor est aussi le président du Forum international du Luxembourg sur la prévention des catastrophes nucléaires et le fondateur du Conseil européen pour la tolérance et la réconciliation, une ONG composée d’anciens chefs d’État européens et de lauréats du prix Nobel de la paix visant à promouvoir l’entente entre les peuples. Fils d'un soldat juif de l'Armée rouge d'Ukraine, qui a perdu de nombreux membres de sa famille pendant la Shoah, ce philanthrope, homme d’affaires et grand collectionneur d’art, croit en la promesse de l’Europe et s’attache à promouvoir l’héritage historique et plurimillénaire des populations juives sur le Vieux Continent. À travers le Fonds juif européen, qu’il a créé en 2006, Moshe Kantor œuvre pour la promotion de la vie juive en Europe et soutient des programmes éducatifs et de leadership pour renforcer l'identité, la culture et la tradition juives. Fer de lance de la lutte contre l’antisémitisme, il a également fondé le « Kantor Center for the Study of Contemporary European Jewry » à l'université de Tel Aviv qui édite, chaque année, un rapport annuel sur l’antisémitisme dans le monde. C’est au lendemain de la publication du rapport 2020, en avril dernier, qu’il a répondu aux questions d’Actualité juive, en exclusivité. Le centre Kantor de l’université de Tel Aviv vient de publier son rapport annuel sur l’antisémitisme dans le monde en 2020. Celui-ci révèle une baisse des attaques antisémites contre des personnes, mais une hausse significative des théories complotistes associant les juifs à la propagation du virus. Comment analysez-vous ces résultats ?Moshe Kantor : L’année 2020 a été une année inédite à plus d’un titre. Toutefois, je souhaiterais mettre l’accent sur le désordre social et la profonde polarisation dont nous avons été témoins au niveau mondial. La pandémie a notamment été un terreau fertile pour que l’antisémitisme, le racisme et l’extrémisme prospèrent. Le rapport du centre Kantor de l’université de Tel Aviv relatif à la situation de l’antisémitisme dans le monde a effectivement fait ressortir une diminution d’attaques physiques en 2020. Celle-ci s’explique aisément par la série de confinements et les sévères restrictions mises en place un peu partout en Europe. Les gens sont pour la plupart restés chez eux. J’aimerais vous donner quelques chiffres à cet égard. Le nombre d’incidents antisémites violents a diminué de 18,6 %, passant de 456 en 2019 à 371 en 2020. En outre, le nombre de blessures physiques a diminué de 37,1 %, passant de 170 en 2019 à 107 en 2020, et les dommages aux biens privés ont également été réduits de 35,4 %. Toutefois, comme en tout temps de crise, la haine anti-juive a proliféré, mais cette fois-ci en ligne. On a pu observer une prolifération des théories conspirationnistes affirmant que les Juifs, le peuple juif ou l’État d’Israël seraient derrière la pandémie, ou en profiteraient. L’accent constant mis sur le rôle des Juifs dans les événements mondiaux montre que l’antisémitisme occupe toujours une place centrale dans les théories du complot.Un autre élément mérite d’être souligné : l’utilisation de l’imagerie de l’Holocauste autour du coronavirus est devenue endémique. Les confinements sont comparés aux ghettos et aux camps de concentration ; les vaccins sont décrits comme des expériences médicales cruelles, et les personnes qui refusent ces vaccins prétendent être persécutées et portentparfois des étoiles jaunes. Ces comparaisons inappropriées avec les souffrances des Juifs pendant l’Holocauste ont notamment été constatées en Allemagne. Ce pays, en particulier, a connu une escalade significative de 24 % du nombre total d’infractions pénales motivées par l’antisémitisme, atteignant 2 275 (contre 1 839 en 2019), dont 59 incidents violents, le nombre le plus élevé enregistré depuis 2001. Cette situation doit nous inciter à la plus grande vigilance.À première vue, la réduction des actes violents semble être rassurante mais la montée des actes antisémites dans certains pays, d’une part, et la propagation de la haine en ligne pendant les confinements, d’autre part, nous poussent à rester très vigilants. Nous saluons, d’ailleurs, l’initiative de la création par le Crif en février 2020 d’un observatoire de la haine antisémite en ligne. Sans aucun doute, il faudra dans un avenir proche multiplier ce genre d’outils pour faire face de manière efficace à la cyber-haine. Justement, votre étude rapporte que la cyber-haine s’est moins répandue sur les réseaux sociaux les plus populaires en raison d’une plus grande vigilance et des mesures prises par les géants du net, mais vous redoutez que cette haine en ligne ne se déplace ailleurs, notamment sur le darknet, alors que faut-il faire ?M.K. : Je m’inquiète fortement de la propagation de cette cyber-haine sur les populations, et en particulier sur la jeune génération. Les jeunes, déjà plus connectés que la moyenne, ont été contraints de rester enfermés pendant une partie importante de leurs années formatrices, les exposant 24 heures sur 24 à l’antisémitisme, à la manipulation et à la désinformation en ligne.Des législations nationales plus fortes contre la haine en ligne et une certaine prise de conscience des géants du net ont permis une diminution du nombre d’incidents antisémites sur les plateformes les plus populaires telles que Facebook ou Twitter. Toutefois, comme vous l’avez souligné, le nouveau défi réside dans ce que l’on appelle le « darknet », les entrailles d’Internet. Une zone de non-droit qui abriterait tout ce qui est illégal et qui, de ce fait, attire tout individu désireux de surfer sous le couvert de l’anonymat.Les législateurs tant au niveau européen que national devront s’attaquer à cette zone sombre de la Toile car le message reste le même, ce qui est interdit dans la vraie vie, doit l’être également en ligne. Ceci vaut pour les messages haineux inspirés par le racisme, l’antisémitisme ou toute forme d’intolérance. Le Congrès Juif Européen compte bien contribuerà cette prise de conscience afin d’obtenir des résultats concrets dans la lutte contre cette cyber-haine, dont les conséquences ne restent malheureusement pas confinées dans le monde virtuel. Le nombre d’attaques contre des sites juifs et des biens communautaires est passé de 77 en 2019 à 96, en 2020. L’enquête établit, par ailleurs, une hausse de 24% de profanations de cimetières juifs et de vandalisme sur des mémoriaux de la Shoah. Comment renforcer la sécurité des bâtiments juifs  ? M.K. : Il faut effectivement noter une augmentation inquiétante des profanations et des dégradations des lieux juifs. Cette augmentation est d’autant plus forte quand le lieu en question ne jouit pas d’une surveillance particulière comme, par exemple, les cimetières.La corrélation entre l’absence de surveillance de ces lieux et l’augmentation de leur dégradation semble donc évidente. Une piste que nous explorons est d’équiper aussi ces endroits de caméras de surveillance qui seraient directement connectées à une « Control Room » de la police locale. La justice, quant à elle, doit s’assurer qu’une fois appréhendés, les vandales soient effectivement déférés devant les tribunaux et condamnés à des peines exemplaires. Vous avez appelé les pays européens qui ne l’ont pas encore fait, à adopter la définition de travail de l’IHRA. En quoi ce texte peut-il permettre de lutter plus efficacement contre l’antisémitisme ? M.K. : La définition de l’antisémitisme de l’IHRA est un outil essentiel pour lutter contre la haine des Juifs. Il faut rappeler que cette définition a déjà été adoptée par 31 pays, dont la France, et elle est utilisée par les gouvernements, les services d’ordre, les institutions éducatives, les ONG, et même les clubs de football à travers le monde. Cette définition, qui je lerappelle n’est pas juridiquement contraignante, a créé un quasi-consensus sans précédent sur ce que constitue l’antisémitisme. Elle ...

Vous devez être connecté(e)(s) pour accéder au contenu du journal

Je me connecte

Supplément du journal

Petites annonces

Votre annonce ici ? Ajouter mon annonce

Publicités

Bouton retour en haut de la page

Vous ne pouvez pas copier le contenu de cette page