Mathieu Slama : « Poutine fascine beaucoup de monde »
Actualité Juive : Dans un article paru en 2000 dans la revue « Politique étrangère », Pierre Hassner estime que depuis 1989 nous assistons à un « épuisement général […] non seulement des idéologies mais des idées et du politique comme tel, au profit de deux grandes forces antagonistes, la globalisation et le fanatisme ». Estimez-vous que Vladimir Poutine a engagé de ce point de vue une rupture en investissant le champ des idées ? Mathieu Slama : J’ai beaucoup étudié la propagande de l’Etat islamique. S’il faut la prendre très au sérieux, sa vision du monde n’est pas suffisamment crédible pour concurrencer le modèle libéral. Poutine de son côté introduit une vision du monde beaucoup plus viable, alternative, et qui repose sur un postulat ancien – chaque pays dispose de traditions et de modes de fonctionnement propres – et sur le principe du respect de la souveraineté des nations comme clé de voûte des relations internationales. Cet affrontement entre le monde libéral et le monde traditionnel n’est pas nouveau. Mais Poutine a la particularité de fasciner beaucoup de monde et d’apparaître comme celui qui remet en cause le monde occidental dans ses présupposés, le libéralisme et ce qui en découle, l’individualisme et la mondialisation. Le point commun entre lui et les mouvements dits populistes en Europe ou aux Etats-Unis (Donald Trump) consiste en une résistance à la mondialisation, la défense du retour aux frontières, le maintien de l’identité des nations. Le “poutinisme” incarne de ce point de vue l’esprit du temps. A.J.: Comment faire la part chez Poutine entre la conviction sincère et l’opportunisme politique ? M. S. : Il est évident que ce discours a été porté de manière systématique à partir de 2012-2013, soit au moment de la rupture de plus en plus nette avec l’Occident, d’abord sur le dossier syrien puis sur la question ukrainienne. Il ne faut pas être naïf ; ...
