Interview Manuel Valls : « Renouer avec l’épopée de la république »

Dans notre époque de désorientation et de perte de repères, rares sont les responsables publics qui ne cèdent pas à la confusion des sentiments. À la confusion des ressentiments, aussi. Manuel Valls, l’ancien Premier ministre, que l’on partage ou non ses options, est de ceux-là. Il tient un cap, le cap de principes essentiels et non négociables à ses yeux : la République, la laïcité. La lutte, inlassable, contre l’islam politique. Le combat de tous les instants contre l’antisémitisme et contre ce mal si répandu et proliférant de notre temps : la haine d’Israël. À la veille de cette présidentielle, nous l’avons rencontré pour une longue conversation. Il a publié récemment un essai d’intervention, Zemmour, l’anti-républicain (éditions de l’Observatoire). Avec lui, nous avons tenté de faire le point sur une situation politique particulièrement embrouillée, pleine de dangers mais, peut-être, aussi, de promesses. Entretien vérité.Entretien réalisé par A.L. et Y.S.Comment va la France à la veille de ce premier tour ? Manuel Valls : Nous faisons face à une situation paradoxale. D’un côté, jusqu’ici, les indicateurs globaux de l’économie se portent plutôt bien. Le rebond spectaculaire de croissance en France après la pandémie la situe en haut du classement des pays européens ; avec une baisse significative du chômage, et, de fait, un retour possible au plein emploi. Notre pays a su apporter également une aide massive décisive aux entreprises, aux commerces, aux activités culturelles, aux familles. Le « quoi qu’il en coûte » a fonctionné, démontrant les capacités budgétaires de la France, l’existence d’un vrai savoir-faire pour acheminer les fonds de soutien et l’argent du chômage partiel aux secteurs les plus touchés. Cette efficacité de notre Etat a été remarquable. Mais, de l’autre côté, nous vivons une forme de dépression démocratique. Le débat politique et le débat public continuent-ils à créer du « commun » ?M.V. : Le débat politique est violent, à l’image de la montée de la violence, notamment celle de la parole sur les réseaux sociaux. La France apparaît divisée, fracturée.En 2017, le fondateur d’En marche, Emmanuel Macron, s’est porté candidat, avec un ouvrage intitulé Révolution. Il se fixait comme objectif la «réconciliation» des Français. Sa mandature a-t-elle rempli cet objectif ?M.V. : Pas réellement. La tâche était quasiment impossible, et la responsabilité ne lui en incombe d’ailleurs pas entièrement. Emmanuel Macron continue d’être crédité par les Français d’une grande capacité de leadership, manifeste depuis le début de la guerre en Ukraine.Il est vrai que le quinquennat qui s’achève, en dépit de ses réussites dans beaucoup de domaines, n’a pas réconcilié les Français - ni entre eux, ni avec leurs représentants, ni avec la démocratie. Les partis, qui ont gouverné depuis des décennies, ont aussi une responsabilité importante.Regardez dans quel état ils sont…. Mais allons plus loin : la crise démocratique n’est certes pas nouvelle mais, en touchant désormais aussi l’élection à la magistrature suprême, elle devient un signal d’alarme. Nous ne sommes plus face à un malaise passager révélé spectaculairement par l’implosiondu paysage politique en 2017 - mais face à un mal-être persistant. Partout, la crise de la démocratie a muté en dépression démocratique. Les citoyens sont tantôt très en colère, tantôt très indifférents. Ils ne sont pas satisfaits mais n’attendent plus grand-chose des politiques. C’est un tournant majeur et dangereux : le jour où ils n’espèreront plus rien du tout, il sera définitivement trop tard. Tout sera alors possible, même le pire. Car on observe de fait quatre tendances politiques puissantes : une forte polarisation ; une importante volatilité du vote ; l’apparition de leaderships très individuels et inattendus, qui transcendent les structures organisationnelles des partis ; et surtout une désaffection politique généralisée dans de nombreux pays, étroitement liée à la perception que la voix des citoyens n’a pas de poids dans les décisions politiques. Et tout cela se produit dans la cacophonie d’une sphère publique numérisée, dans laquelle l’information et l’opinion circulent comme un torrent à travers les médias sociaux. Le mensonge, sous le nom de post-vérité ou de fake news, et le sectarisme dominent le débat politique de notre époque. C’est à ces phénomènes qu’il faut répondre.Comment expliquez-vous que la droite républicaine ait autant de mal alors qu’un quasi-consensus la donnait gagnante il y a encore quelques mois ?M.V. : Le consensus que vous évoquez était faussé dans ses bases mêmes.Que voulez-vous dire ?M.V. : Il était fondé, à mon avis, sur une analyse trop partielle des victoires de LR, notamment lors des élections régionales et départementales de juin dernier. La situation est paradoxale. Des leaders nationaux incarnent des courants d’idées qui correspondent aux nouveaux éléments structurants de la vie politique : et ces courants (LREM, LFI, RN…) restent, pourtant, peu implantés localement. A l’inverse, de vieux partis, encore bien implantés localement, comme le PS et LR, représentent de moins en moins quelque chose à l’échelon national. 2017 a scellé l’implosion de la gauche à la suite de sa non-réponse aux grands défis de la période post-1989, et face à l’épreuve des contradictions insurmontables dans l’exerci ...

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