Haïm Korsia  » Une année de réflexion sur ce que le judaïsme peut apporter à la société

Actualité juive : Monsieur le grand rabbin de France, vous entrez dans votre dixième année d’exercice. Quel premier bilan faites-vous de votre mission ?Haïm Korsia : Je n'ai pas une gestion linéaire du temps ; je pense plutôt en termes de projets. Je me retrouve dans l’esprit du psaume 68, disant « Source de bénédictions soit le Seigneur de jour en jour ». Il ne s’agit ni de se retourner ni de se projeter trop loin car ce serait quelque chose de présomptueux et d’orgueilleux pour un être humain. Il faut avoir des projets, les lancer et tout mettre en œuvre pour les mener à terme.Quel sens donnez-vous aujourd’hui au poste de grand rabbin de France ?H.K. : Il n’y a jamais de répétition dans cette fonction. Ces dix ans ont été hors norme, avec notamment les attentats de 2015 puis les difficiles années de pandémie. J’ai perçu, dès la première année, l’impérieux besoin des communautés de reconstituer du lien. J’arrivais après une période de latence d’un an et demi sans grand rabbin de France. En un an, j’ai visité plus de 100 communautés à travers la France et j’ai alors décidé qu’il en serait de même tous les ans. Cela signifie que je me déplace dans les communautés une à deux fois par semaine et que je passe deux chabbatot sur quatre en dehors de chez moi. J'effectue la plupart de mes visites en province, là où sont les communautés et où l'on débat des enjeux locaux. C’est ainsi qu’il est possible de créer des liens de confiance.Je profite de la tribune que vous m’offrez ici pour rendre hommage à votre journal Actualité Juive qui, depuis toujours, constitue un lien entre toutes les communautés et permet de partager les expériences de chacune d’entre elles. Le travail que vous faites est essentiel, aussi devons-nous collectivement nous engager pour vous permettre de le poursuivre dans des conditions financières sereines.Merci Monsieur le grand rabbin de votre soutien. Votre mission dépasse-t-elle vos espérances ou, au contraire, vous sentez-vous empêché dans ce que vous souhaiteriez faire ?H.K. : On a toujours le sentiment que l'on pourrait faire davantage, mais l'inertie du système et des personnes est telle, comme dans toute organisation, qu’il n’est pas toujours évident d’y parvenir. Dans mes précédentes fonctions [à l’aumônerie des Armées - Ndr], je décidais et l’on se mettait à l’ouvrage. Ici et maintenant, je consulte, j’évalue, je propose en étant à la recherche constante de consensus, ou à tout le moins de compromis. C’est là la grandeur du Consistoire que d’être une institution démocratique. Ne pouvez-vous rien faire contre l'inertie du système ?H.K. : On peut tous promettre de changer le système lorsque l'on est en campagne électorale. Mais le fait est que ce n'est pas toujours possible. Prenons un cas concret : je dois missionner des rabbins au sein des communautés. Or, le système fait que c'est l'école rabbinique et non moi qui forme les rabbins. Sont-ils toujours formés comme je le souhaiterais ? Les rabbins recrutés par les communautés correspondent ils à ceux que j'aurais choisis ? Est-ce que je peux aussi organiser la mutation des rabbins ? Nous ne sommes pas dans le cadre d’une entreprise. Les modalités doivent se construire avec les institutions, les communautés en préservant l’indispensable capacité à échanger, à convaincre et parfois, à constater que l'on ne peut pas tout changer aussi vite qu’on le souhaiterait. On peut faire évoluer les rouages mais la transformation institutionnelle est longue. Elle l’est d’autant plus aujourd’hui, en tout cas, c’est ainsi qu’on le ressent, dans ce monde où nous sommes désormais un peu trop habitués ou parfois même forcés à l’instantanéité. J’appréhende ma mission en étant à l’écoute des attentes et des besoins, en échangeant du mieux que je le peux et en m’efforçant de convaincre dès lors que j’ai acquis une certitude quant à la marche à suivre. Vous parliez de faire bouger les rabbins à travers les communautés. Êtes-vous favorable à une durée limitée de leur mandat ?H.K. : Je pense, en effet, qu'un rabbin qui reste 20, voire 25 ans, dans sa communauté doit, à un moment donné, changer d’univers pour voir un nouvel horizon. On peut également s’interroger sur ce besoin de renouveau, dans la mesure où la fonction de grand rabbin de France est limitée à deux mandats de sept ans, ce qui est à mon sens, indispensable au renouvellement des hommes et des idées. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour d'autres fonctions parallèles ? Même s’il faut nuancer la comparaison, il m’apparaît également important que cette limitation de mandats s'applique aussi aux présidents de communautés, bien que leur statut soit différent dans la mesure où ils sont bénévoles. Il faut un nouveau souffle, une nouvelle façon de s'engager. Cela correspond davantage à l'époque qui est la nôtre. L’expérience m'a montré qu'au bout d'un moment, un rabbin ne sort plus de sa zone de confort, il reproduit les mêmes idées et concepts, et compose avec les gens avec lesquels il a l’habitude de faire. Je suis fondamentalement favorable à un turn-over. Ou du moins à une remise en question.Demander aux rabbins de tourner à travers les communautés - et donc déménager plusieurs fois - ne risque-t-il pas de dissuader les candidats au rabbinat, déjà peu nombreux ?H.K. : Vous avez raison, il nous faut nous réinventer pour réveiller la flamme de la vocation, qui comporte par essence une part de sacerdoce et donc d'engagement. Alors oui, toutes les communautés n'ont pas d’écoles juives chez elles. Mais l'on ne peut pas non plus avoir des rabbins qui ne vivent que dans des grandes villes et qui viennent ponctuellement dans les synagogues des petites villes. Tout engagement coûte, mais autant qu’il apporte en satisfaction d’une mission accomplie, en épanouissement personnel et en rencontres. C’est là le sens même de se porter au service des autres.Le tableau de la pyramide des âges du rabbinat français est apocalyptique. Beaucoup de rabbins sont désormais âgés et très peu de jeunes rabbins acceptent de s’installer en province, alors même qu’ils ont pris l’engagement moral d’y exercer en entrant au Séminaire qui va de pair avec la perception d’une bourse étudiante qui vient d’être réévaluée. On risque à terme de se retrouver avec une pyramide sans base, ce qui est devenu un épineux problème pour l'avenir de nos structures communautaires.Comment expliquer que l'on rencontre pourtant beaucoup de jeunes rabbins des communautés ‘Habad Loubavitch ?H.K. : On rencontre beaucoup plus de jeunes ‘Habad Loubavitch, voulez-vous dire… Il faut être au clair avec la définition d’un rabbin et les missions qu’il lui faut remplir. Si l'on veut un rabbin uniquement disposé à organiser un office et des oneg chab-bat, je n'ai rien contre. Mais qu’en est-il du travail rabbinique de proximité avec les fidèles, du lien avec les autres cultes et les autorités de la ville, de leur capacité à présenter et représenter le judaïsme dans la Cité ? Or, cela constitue une partie majeure d’un engagement de rabbin et nécessite une formation adéquate que seule l’École rabbinique dirigée par le grand rabbin Kaufmann assure. Dans le cadre du service des communautés, on doit évidemment former et placer des rabbins adaptés au judaïsme français, dans les synagogues et les communautés où il y a une forte incidence de relations extérieures.Un des enjeux majeurs d’aujourd’hui est également d’accompagner la montée en compétences de tous ceux que le grand rabbin Sitruk (zal) appelait d'une si jolie formule les « Kelé Kodech », les ustensiles du service divin. Ceux qui ne sont pas forcément rabbins mais sur lesquels on s'appuie dans le quotidien, notamment nous les rabbins ! Que faire face à ce problème d'attractivité pour la fonction rabbinique ?H.K. : J'ai récemment demandé au conseil d'administration du Consistoire de réévaluer le salaire des rabbins parce qu'avec l'inflation que l'on connaît actuellement, le risque de paupérisation est réel. Aujourd’hui, dans certaines communautés, les rabbins sont forcés et contraints de trouver d'autres sources de revenus, en donnant des cours ou en acceptant d’autres fonctions. Ils vont gagner un peu plus, mais consacrer moins de temps à leur fonction qui est d'aller à la rencontre des fidèles. C’est ainsi que l’on se retrouve avec ce que j’appelle des rabbins « VSD », des rabbins vendredi-samedi-dimanche, car ils sont moins disponibles ou moins présents sur le reste de la semaine. Les gens ne voient pas les incidences que ces considérations financières engendrent, jusqu’au moment où ils ont un besoin immédiat de rencontrer un rabbin. Quand un parent décède et qu’il faut urgemment s’occuper de lui, trouver une place dans un carré juif et procéder aux prières, il faut un rabbin immédiatement disponible, mais peut-être trouveront-ils alors porte close, car le rabbin aura été délaissé. À terme, si l’on ne fait rien, c’est donc la communauté tout entière qui risque de péricliter.Dans d’autres domaines aussi, on constate un délaissement des structures consistoriales. De plus en plus de restaurants demandent la certification Louba-vitch, et non plus celle du Beth Din…H.K. : En effet, et c’est bien déplo-rable, même si j’entends les difficultés des restaurateurs qui se plaignent du fait que l'on refuse d'agréer un res-taurant où il n'y a pas de chomer et arguent, à juste ...

Vous devez être connecté(e)(s) pour accéder au contenu du journal

Je me connecte

Supplément du journal

Petites annonces

Votre annonce ici ? Ajouter mon annonce

Publicités

Bouton retour en haut de la page

Vous ne pouvez pas copier le contenu de cette page