Georges Bensoussan: « Vers une marranisation de l’existence juive en France »

Treize ans après sa parution, votre livre, Les Territoires perdus de la République (éditions Mille et une nuits), et son titre même se sont installés comme un élément du débat public. Intellectuels, politiques et médias se sont emparés de cette notion. Est-ce selon vous le signe d’une prise de conscience de la réalité que vous mettiez alors en lumière ?Georges Bensoussan : Je parlerais d’une prise de conscience partielle tant on s’est emparé du titre sans s’emparer véritablement du contenu. Beaucoup de ceux qui parlent des Territoires perdus n’osent pas prononcer les mots qui fâchent. La frilosité de la pensée est toujours de mise, drapée dans l’alibi du moralisme qui n’est pas la morale faut-il le rappeler…Ce qu’on annonçait dans ce livre n’était que l’amorce d’une situation aujourd’hui très dégradée. Une partie de la population de ce pays ne se sent plus reliée à la nation, elle affirme clairement pour reprendre le titre d’un documentaire récent que « les Français, c’est les autres ».  Nés en France, souvent de 3e génération, ces  jeunes ne sont ni immigrés ni étrangers. Mais bel et bien français sans ressentir toutefois une véritable attache avec leur pays de naissance. Et, plus dramatique peut être, une attache mythifiée et guère plus avec le pays des aïeux.  Certains pointent du doigt la responsabilité de l’Etat dans ce détachement, un Etat qui aurait « stigmatisé » ces populations.G.B. : C’est le vieux discours de la repentance d’un Etat raciste et stigmatisant. Derrière ce slogan, la question de fond est plutôt de comprendre pourquoi ces populations, le plus souvent musulmanes et d’origine maghrébine ou d’Afrique noire, ont été rassemblées dans les mêmes cités pour y créer une ségrégation spatiale, ethnique et finalement sociale générant un sentiment d’abandon et de réclusion « entre soi » ? Or, à l’opposé de la vulgate, après les émeutes de Vaulx en Velin puis de Vénissieux au début des années 1980, l’Etat a massivement investi (cf. la banlieue parisienne). Mais pour quel résultat quand ces cités ethno sociales n’ont pas été cassées. Si la société française a eu du mal à intégrer ces populations, c’est aussi parce que le flux migratoire était trop puissant. Passé un certain seuil, la machine s’enraye, l’intégration ne fonctionne plus. De là cette question rarement posée : pourquoi le regroupement familial (1976) a t-il été décidé par la droite libérale (et la plus droitière depuis la Libération) au moment d’un puissant ralentissement économique qui sonnait l’entrée dans le chômage de masse. C’est en 1967 que l’ANPE avait été créée et les 400 000 chômeurs de l’époque semblaient déjà un cauchemar national. Deux millions de chômeurs en 1982, 3,6 millions aujourd’hui et près de 6 millions en comptabilisant les temps partiel subis. Réalise-t-on derrière ces chiffres irréels ce que signifie le chômage de longue durée : la destruction systématique d’un homme. Et l’accumulation d’une souffrance et donc d’une violence potentielle considérable.  Pourquoi les classes dirigeantes françaises, 8 ans seulement après la grande peur de 1968, ont-elles mis en place une politique aussi aberrante dont elles ne vont évidemment pas assumer les retombées dans leurs quartiers protégés ? Les classes populaires, seules, qui encaisseront le choc de la vague migratoire, un choc culturel et identitaire qui, couplé au chômage de masse, au sentiment d’abandon de l’Etat et au mépris des élites, et en particulier des élites de gauche, vont nourrir le ressentiment, la colère voire la haine dans cette « France périphérique » (et majoritaire) dont parlait déjà Eric Conan en 2004, puis Christophe Guilluy et Hugues Lagrange plus récemment. Là est le cœur du vote Front National. Et pas dans quelque fascisme mythique pour qui rejoue éternellement la Guerre d’Espagne ou la Résistance. Est-il difficile d’insister dans le débat public sur l’importance du fait culturel dans la progression de l’antisémitisme en France ? G. B. : Oui. Le facteur culturel, comme le facteur démographique restent entachés de suspicion. Pour ceux qui ont fait du combat de l’antiracisme une vision du monde simplificatrice (bien/mal, vertu/vice etc..), le culturel ne serait qu’un racisme dissimulé et honteux. Hélas, le politique n’a rien à voir avec les bons sentiments des Homais d’une partie de l’université française (les professionnels de l’indignation progressiste type Mediapart). Le facteur culturel demeure avec le facteur démographique l’une des clés principales des conflits.  Invoquer à propos de l’antisémitisme d’une partie de la communauté maghrébine (voyez la rage antijuive de Merah, de Nemmouche, des frères Kouachi, d’Abbaoud et de quelques autres), cette tradition culturelle antijuive du Maghreb (pas forcément antinomique d’ailleurs d’une forme de convivialité) dans laquelle beaucoup ont grandi, ne revient à stigmatiser personne sauf pour ceux qui ignorent le sujet. Car cette réalité culturelle est connue de tous les historiens de la question, de Bernard Lewis à Paul Fenton.  Pourtant, invoquer le racisme de dominés paraît encore difficilement concevable à ceux pour lesquels un opprimé ne saurait opprimer à son tour. A fortiori quand l’opprimé épouse la vieille figure millénariste du Pauvre rédempteur. De là, leur colère devant la mise en avant d’une culture spécifiquement antijuive du Maghreb, de là les accusations récurrentes et usées de racisme qui ont stérilisé tout débat dans ce pays. De là, enfin, l’habituel et paresseux repli sur les facteurs sociaux (qui ont leur part évidemment) ou sur le conflit israélo-arabe.    "La rivalité mimétique se reproduit ici comme dans la situation col ...

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