Entretien : Sandrine Kiberlain « Je sais que l’antisémitisme ne cessera jamais »

Sandrine Kiberlain passe derrière la caméra pour raconter avec une grande sensibilité la joie de vivre d’une jeune juive avant les conséquences tragiques de la Shoah. La cinéaste revient pour nous sur son film, sa part autobiographique, sa famille, le tout mixé de son rapport à la vie. Pourquoi n’insistez-vous pas sur l’époque, la rendant presque intemporelle ?S.K. : C’est ma nature, je n’ai jamais aimé les choses démonstratives. C’est un goût global pour le cinéma et la littérature que j’aime. Agnès Varda disait : “Je ne veux pas montrer, je veux donner envie de voir. » J’ai l’impression que c’est toujours plus fort de suggérer, ce qui nous amène à imaginer parfois plus de choses que ce que l’on aurait montré. Je trouvais cela approprié au thème. On connaît l’histoire, on a donc 70 ans d’avance sur cette fille que je filme. C’est comme si on la suivait au quotidien. J’ai beaucoup repensé aux journaux d’Anne Frank et d’Hélène Berr. Je suis dans son regard, on la suit dans son mouvement permanent. Je ne montre que ce qu’elle veut voir ou pas. En revanche, elle a des évanouissements qui trahissent sa peur, ce qu’elle pressent, ce qu’elle refuse de voir. J’ai trouvé cela plus fort d’être complètement avec elle pour montrer ses ressentis. Ce n’est pas une écervelée. Elle est dans l’instant, dans son époque, elle fonce, elle ne veut pas leur donner ça, elle veut avancer. Quand son père lui dit que Madame K a été arrêtée juste parce qu’elle est juive et polonaise, le personnage d’Irène se lève et demande si pour chabbat, elle peut inviter quelqu’un. À chaque fois qu’elle entend parler d’un élément violent, elle change de sujet. Je disais toujours à Rebecca Marder, l’actrice, qu’il faut que l’on sente sa volonté de ne pas vouloir savoir. Je voulais filmer cette insolence, cet égoïsme de la jeunesse, même si elle pressent. C’est un âge très beau, très à part pour cela. Jusqu’au moment où elle entend que ce n’est pas à la mode d’être juif. C’est quelqu’un qui vit dans la protection familiale et qui souhaite s’en affranchir, comme tout jeune. C’est difficile parce que c’est un âge où tout est paradoxal : on veut partir, mais on a peur, on tombe amoureux, mais on en a peur de le vivre. C’est un âge très riche à filmer. Vous connaissez le cinéma israélien lui aussi pudique ?S.K. : Je m’y suis intéressée, mais pas assez. J’ai la moitié de ma famille du côté de mon père qui vit en Israël, à Petah Tikva. Il y a une culture israélienne qui me touche. Même quand je vais là-bas, je sens cette pudeur partout. J’y suis allée très souvent, j’y ai emmené ma fille. C’est un endroit où j’ai ressenti une force, une odeur, quelque chose de très particulier, propre à ce pays. Quand on atterrit en Israël, quelque chose me happe. C’est un sentiment très personnel de déjà vu, de reconnaissance comme si je l’avais connu avant. C’est comme si c’était mon deuxième chez moi. Je suis heureuse d’aller à Haïfa présenter le film. Pourriez-vous imaginer Israël comme un refuge ?S.K. : Je n’ai jamais imaginé, et c’est peut-être pour cela que j’ai fait le film, comment serait ma vie si le monde basculait. Je refuse de m’y projeter, alors que l’on sent tellement de tensions, c’est le moment d’y penser. Si toutefois, je me mettais à réfléchir, je ne sais pas. Je m’y sens à la maison parce que je suis en visite. Pour y vivre c’est différent, même si tout m’est familier. Il y a des pays où l’on ne se sent pas à l’aise. Je crois que l’on est imprégné de nos ancêtres, de nos vies antérieures, d’un héritage familial. Je suis faite d’une partie d’Israël, mais je ne me suis jamais vue vivre ailleurs qu’en France. Même si les États-Unis, et l’Australie que je ne connais pas, sont aussi dans ma sphère intime. Vous avez déclaré être hantée par la Shoah.S.K. : Que l'on soit juif ou non, j’espère que cette période, ce phénomène fou, hante tout le monde comme une injustice. Qu'y-a-t-il d’autobiographique dans le film ?S.K. : Quand on écrit, on est son propre outil. Je ne savais pas par où commencer. J’ai d’abord eu l’idée de la fin. J’avais lu « Le journal d’Anne Frank », et ai été bouleversée par la page d’après qui n’est pas là. Je me suis demandé comment pourrais-je être aussi percutée par une fin au cinéma. Alors, je suis partie de ça et des personnages. Les personnages, quand on écrit un film long, doivent se croiser, se connaître, il y a toute une histoire à inventer. Je suis donc partie directement des personnages, d’Irèn ...

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