Entretien avec Natan Sharansky : « La guerre en Ukraine est aussi une guerre contre le monde libre »

Leader, Il a été l’un des plus célèbres opposants au régime soviétique et s’est battu pour les droits de l’homme et pour celui de faire son Alyah. Arrêté par le KGB et condamné à treize ans de prison, Natan Sharansky, né en 1948, à Stalino, aujourd’hui Donetsk, en Ukraine, a passé onze ans dans les geôles soviétiques. Libéré en 1986 lors d’un échange de prisonniers, il a réalisé son rêve de devenir israélien et retrouvé enfin son épouse, Avital, qui s’est battue pour sa libération pendant toutes ces années. Toujours activiste, Natan Sharansky est ensuite devenu député à la Knesset, ministre et président de l’Agence juive. Auteur de plusieurs livres dont Défense de la démocratie : Comment vaincre l'injustice et la terreur par la force de la liberté, il a accordé un entretien exclusif à Ariel Kandel. Ensemble, ils ont évoqué les sujets brûlants de l’actualité… qu’il ne connaît que trop bien. A-J : Que ressent l’homme né en Ukraine, ancien étudiant à Moscou et captif des geôles russes, en regardant les images du conflit en Ukraine ?Natan Sharansky : Plusieurs choses et d’abord, des choses personnelles. Je suis né à Donetsk - à l’époque, Stalino - et j’ai passé toute mon enfance dans le Donbass, une région qui est au cœur de la guerre actuellement. Tous les noms des villes que l’on entend aujourd’hui aux informations résonnent en moi. Marioupol, qui est dans un état lamentable, est la ville des centres de loisirs de mon enfance. À Odessa et à Kiev résonnent aussi de nombreux souvenirs personnels. La brutalité des attaques russes rappelle la cruauté du régime soviétique.Sans parler des mensonges du gouvernement russe qui dit « nous nous battons contre des poupées américaines et contre les néo-nazis ». Nous sommes en pleine propagande soviétique… Le rideau de fer que Poutine est en train d’installer autour de la Russie nous rappelle, sans aucun doute, le rideau de fer soviétique.D’un autre côté, il est évident pour moi qui me suis toujours battu pour les droits de l’homme que ce n’est pas qu’une guerre entre la Russie et l’Ukraine, mais une guerre entre le bien et le mal. Un homme essaie de changer les règles sur lesquelles le monde libre s’est construit. Tous nos efforts pour garantir la stabilité, la liberté et la paix dans cette région sont battus en brèche par Poutine qui cherche à déstabiliser tout cela. Pour moi, cette guerre est un véritable défi posé au monde libre. Et il faut que le monde libre comprenne que cette guerre est aussi une guerre contre lui.Mais au-delà, il y a également un aspect juif. Quand j’ai grandi en URSS, la seule spécificité juive que l’on avait, c’était l’antisémitisme. On n’avait rien d’autre : pas de bar-mitzvah, pas de brit milah, pas de Pessah’, pas de Pourim. On ne connaissait pas ces termes. Ni la langue, ni l’histoire. Mais sur notre carte d’identité était inscrit un mot. Si les mots « russe », « géorgien », « arménien » et « kazakh » étaient inscrits, cela ne changeait rien. Mais si c’était le mot « juif », ça changeait tout. C’était comme si on était né avec une maladie dont on allait souffrir toute notre vie. Aujourd’hui, quand des millions de réfugiés marchent en direction de la Pologne, de la Hongrie, de la Roumanie et de la Moldavie, seuls les juifs ont un pays qui les attend vraiment. Un pays qui a des chli’him (émissaires) qui les attendent près des frontières pour les aider. En cela, l’existence de l’État d’Israël a généré de profonds changements dans la vie des juifs d’Ukraine et de ceux du monde.Le déclenchement de cette guerre vous a-t-il étonné ?N.S. : L’invasion de la Crimée aurait dû être pour nous tous un avertissement. Il faut comprendre que ce qui s’y est passé est arrivé au moment où l’Occident a montré de terribles signes de faiblesse. Obama a parlé de ligne rouge à ne pas franchir : l’utilisation d’armes chimiques en Syrie. Pourtant, elle les a utilisées et cela n’a pas déclenché d’intervention américaine comme le président l’avait promis. Quand la Russie a vu ceci, elle a fait deux choses : en Syrie, elle a déployé ses forces et créé une base militaire, et elle a envahi la Crimée. Il était clair que Poutine allait recommencer au moment où il sentirait à nouveau l’Occident faible. La menace était palpable. Je le voyais déclarer que « l’Ukraine n’est pas une vraie nation », « qu’elle fait en réalité partie de la Russie et qu’elle doit à nouveau être rattachée à Moscou ». D’ailleurs Poutine, lui-même, s’est dit qu’il allait conquérir l’Ukraine en trois jours et changer le régime rapidement.Disons seulement que j’ai été surpris par l’appétit de Poutine. Je ne pensais pas qu’il déploierait tant de force pour conquérir toute l’Ukraine. Je pensais qu’il allait se concentrer sur une petite partie, comme il avait fait pour la Crimée. Mais j’ai été heureux de voir qu’il s’est trompé sur deux points. D’abord, il ne s’attendait pas à une résistance ukrainienne si forte. Il ne pensait pas que les gens étaient prêts à ce point à se battre pour leur identité et pour leur liberté. Ensuite, il n’a pas cru que les pays occidentaux, pourtant mus par leurs intérêts, infligeraient ensemble de lourdes sanctions à la Russie. Cela étant dit, Poutine a malheureusement eu raison sur un point : on peut faire trembler le monde avec la menace nucléaire. Dans cette guerre, sommes-nous, d’après vous, dans un conflit autour d’un territoire ou autour d’une idéologie ?N.S. : Dans un conflit autour d’une ...

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