Bernard-Henri Lévy : « Albert Cohen voulait que je joue le personnage de Solal »

Le philosophe Bernard-Henri Lévy a été l’ami du créateur de Belle du Seigneur, à la fin des années soixante-dix et au tournant des années quatre-vingts. Récit d’une complicité et témoignage d’une admiration. Albert Cohen a tenu un grand rôle, peu connu, dans votre vie, et notamment dans votre « retour » progressif vers le judaïsme. Pouvez-vous, pour commencer, nous remémorer dans quelles circonstances vous l’avez rencontré ?Bernard-Henri Lévy : Très simplement. J’avais lu Belle du Seigneur dès sa parution. J’avais éprouvé une véritable illumination. Nous étions à l’automne 1968. Et je lui ai écrit. Puis, j’ai commencé à le voir. Assez souvent, à Genève, dans son appartement de l’avenue Krieg. J’étais bien loin, alors, d’imaginer qu’un jour, le judaïsme allait tenir une place si essentielle dans ma vie. Laquelle, en l’occurrence ?B.-.H L. : Je suis venu au monde et j’ai grandi dans une famille de juifs assimilés, qui avaient une volonté d’intégration chevillée au cœur. Je crois que mes parents, mon père en particulier, ne voulaient plus trop penser au judaïsme car il était, pour eux, l’homonyme du malheur et de la désolation. Subitement, tout jeune adulte, je découvre, grâce à Cohen, un judaïsme glorieux dont je ne soupçonnais même pas jusqu’à l’existence. Je suis intrigué. Bouleversé. Foudroyé. Pourquoi ?B.-H. L.- : Comment vous dire ? Je vois paraître un prototype d’homme, Solal, qui ne ressemble en rien au portrait de ces êtres qui ont intériorisé l’humiliation, et qui étaient, jusqu’ici, mon idée approchante de l’être juif. C’est là que s’origine, en fait, l’amorce de votre « retour » ?B.H.L. : En tout cas, il y a eu, oui, ce saisissement. Et tout ce qu’il a déclenché, immédiatement ou, au contraire, sur la durée. Puis les années ont passé… Jusqu’au succès de votre premier livre fondateur, cet essai de combat antitotalitaire, La Barbarie à visage humain…B.-H L. : C’est là, à l’été 1977, fort de la confiance que me donne ce livre, que je prends la liberté, après avoir fébrilement recherché ses coordonnées, d’entrer en contact avec Albert Cohen. Que se passe-t-il alors ?B.-H. L. : C’est Pierre Bénichou, alors rédacteur en chef à l’Observateur, qui me révèle son adresse. Moyennant un « échange de bons procédés », je m’engage à ramener un long entretien avec Albert Cohen pour le grand hebdo de la gauche. A cette date, j’ai lu tous ses livres. Je les connais presque par cœur. S’ouvrent quatre années durant lesquelles je le fréquente assidûment. Il vit reclus, cloîtré, retiré tout autant de la vie littéraire que des mondanités genevoises. Quel souvenir avez-vous gardé de vos conversations ? B.-H. L. : Sans doute avait-il, bien sûr, un peu moins d’aura que son personnage… Il recevait tous ses visiteurs, vêtu de robes de chambre magnifiques, rouges, ou bariolées, à larges revers. Il ne se départissait jamais du chapelet qu’il gardait entre ses mains. Ce qui était décevant au premier abord, mais qui devenait très vite charmant et, pour tout dire, à son honneur, c’était son émerveillement pour son personnage : Solal enchantait Albert Cohen comme il aurait enchanté n’importe quel lecteur. Et il en faisait l’éloge à la manière d’un bon père juif de son enfant brillant ! Ah oui, carrément ?! Vous étiez touché ?B.-H. L. : Evidemment ! Le rapport d’intimité parfois batailleuse qu’il entretenait avec Solal devenait contagieux. Ce qui m’a frappé, aussi, dès le premier jour, chez lui, à Genève, c’est son incroyable modestie ; il considérait le monde de la gentilité sans aucune insolence, avec respect, avec déférence. Cohen a-t-il été, peut-être même sans le savoir, un professeur en « teshouva » pour votre génération ? B.-H.L. : Oui, à deux titres. Cohen, certes, n’était pas savant, mais un grand artiste. A ce titre, il était doué d’intuitions fulgurantes. Et puis il était généreux. Je lui suis redevable de deux cadeaux. Lesquels ?B.-H.L. : Le p ...

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