Aux origines de l’hébreu, la langue divine

Voici, en exclusivité, les bonnes feuilles d’un livre qui fait du bien : La langue divine, de Julien Darmon (Albin Michel). Tout en racontant la fabuleuse histoire de la langue hébraïque, son auteur fait définitivement un sort à l’idée, encore répandue, selon laquelle « l’hébreu serait la langue du particularisme, de la « lettre morte » (…), tandis que le grec serait la langue de l’universel, de « l’esprit qui vivifie ». Non, répond, dans une brillante démonstration, Julien Darmon, l’hébreu a traversé les siècles, et maintenu l’unité du peuple juif… Morceaux choisis. EXTRAITS. Le nom même d’« hébreu » pour désigner la langue dans laquelle est écrite la Torah n’a rien d’une évidence. D’ailleurs, dans la Torah même, ce qualificatif d’« hébreu », עברי ‘ibri, est bien employé pour désigner les Enfants d’Israël, mais toujours… par les autres, en particulier par les Égyptiens. Et cela se comprend bien, puisque l’Hébreu est littéralement celui qui se trouve ou qui vient de l’« autre rive », עבר ‘eber. L’hébraïté est la marque de l’étrangeté, ce qui fait dire poétiquement au midrash que, si Abraham est surnommé « l’Hébreu», c’est parce que, en tant que croyant solitaire, il est seul sur sa rive tandis que le monde entier est sur l’autre rive. La Torah fait preuve d’une forte conscience de la diversité des langues, par exemple quand elle s’attache à faire parler Jacob en hébreu et son oncle et beau-père Laban en araméen (Gn. 31 : 47), mais elle ne donne pas de nom à sa propre langue. Il faut attendre le siège de Jérusalem par les Babyloniens pour voir évoquée la « langue juive » ou « judéenne » en regard de l’araméen (II Rois 18 : 26) ; et bien plus tard encore, les maîtres de la tradition la désigneront comme la « langue du sacré » (לשון הקדש leshon ha-qodesh). Avant même d’évoquer ce qui fait la sacralité ou la sainteté de cette langue, est déjà présente l’idée d’une langue « à part ». Mais l’est-elle vraiment ? Pour le savoir, il faut faire un détour par le récit de la Tour de Babel. Un détour par la GenèseLe chapitre 11 de la Genèse nous fait le récit de la construction de la tour de Babel : « Toute la terre était une langue une et des paroles unes » (Gn 11 : 1), et les hommes décidèrent de construire une tour dont le sommet atteindrait les cieux afin d’éviter d’être dispersés à la surface de toute la terre. Mais Dieu désapprouve ce projet et « mélange » leurs langues ; les hommes, ne se comprenant plus, se dispersent. On peine cependant à saisir l’ambivalence de ce récit. La dispersion des langues est-elle vraiment une conséquence de cet épisode, ainsi qu’on le présente souvent ? Mais alors, comment expliquer que la diversité des langues est déjà évoquée au chapitre 10 qui le précède ? La Torah est riche de ces apparentes incohérences qui naissent de notre lecture trop rapide du texte, nourrie de nos idées toutes faites, que l’étude attentive des mots nous invite à déconstruire. De fait, ici, une bonne part des commentateurs juifs estime que la « langue une » de Babel est en réalité une novlangue totalitaire imposée par Nimrod, roi de Babel, pour fonder un empire aux dimensions du monde. Or, comme l’explique le talmudiste Nissim de Gérone (1310-1376), dans un empire totalitaire, il n’y a pas de place pour la dissidence religieuse d’Abraham, qui est contemporain de cet épisode. (…) Et, continue Nissim de Gérone, les juifs sont les continuateurs de cette altérité de langue et de pensée, qui ne peut exister qu’entre les langues et les royaumes : si on les chasse d’un pays parce que l’on craint leur « subversion », ils pourront toujours trouver refuge dans une nation rivale qui saura au ...

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