Antisémitisme: ce que l’on ne veut pas dire. Par Shmuel Trigano

L'attentat de Créteil a été l'occasion d'un débat significatif dans le cadre d'une émission de FR5, C dans l'air, qui lui était justement consacrée, en même temps - fâcheux apparentement- qu'à "la vérité sur la violence". Les émissions qui se penchent sur le phénomène antisémite sont suffisamment rares pour qu'on s'intéresse de façon appuyée à ce qu'elles nous donnent à voir et à entendre. En l'occurrence, on ne fut pas "déçu"! A ce débat, qui voulait faire le "vrai" sur la violence, prenait part un sociologue, auteur de livres sur l'antisémitisme, Michel Wieviorka, appelé à émettre un jugement d'expertise à son propos et supposé proche, par ses origines, de la sensibilité des Juifs - ce qui compte dans l'étiquetage médiatique de la représentativité des intervenants. En fait de représentation de cette sensibilité, comme d'expertise, le téléspectateur a eu droit à une version des faits qui nous donne à comprendre comment le grave problème qui nous préoccupe depuis 15 ans se retrouve désamorcé et annulé sur la scène publique et dans les sphères de la décision politique. VerbatimPour souligner le caractère détonnant de l'argumentaire du sociologue, je reproduis ci-après une partie du dialogue que l'on peut toujours entendre sur le site de TV5[1]. Le détail de l'argument mérite en effet d'être analysé car on le rencontre au sein des élites et à l'Université. Questionné par Yves Calvi sur le regret manifesté par Manuel Valls face à l'absence d'indignation après l'agression de Créteil, Michel Wieviorka fait une remarque préliminaire sur le fait qu'aujourd’hui «on utilise le mot de "Juif" sans arrêt. Avant guerre, quand on parlait des Juifs, il y avait un tout un autre vocabulaire. On ne dit plus [aujourd'hui] "israélite", [comme hier] pour se situer du côté des gens qui se trouvaient du bon côté"... "Valls, c'est la République qui s'exprime, et je trouve que dans ce pays la République tient bon dans son discours face à l'antisémitisme mais que le modèle républicain, lui, il prend l'eau, c'est peut-être ce qui rend la situation si terrible. Le modèle républicain au départ, consistait à dire: «vous pouvez être juif en privé, israélite, si vous voulez, c'est votre religion, mais dans la vie publique, vous êtes comme tout le monde". Il y a une phrase très célèbre du Comte de Clermont Tonnerre qui dit «Tout pour les Juifs comme individus" [dans l'espace public] "rien pour les juifs en tant que nation" [ou communauté]". Jusque dans les années 1960, ce modèle a bien marché et, pour diverses raisons sur lesquelles je ne peux m'étendre, les Juifs sont devenus visibles dans l'espace public. Ils ont cessé d'être conformes à ce modèle classique. Ils ont exprimé très nettement leur attachement à l'Etat d'Israël, ils se sont mobilisés comme tels, comme tels, contre l'antisémitisme. Ils sont devenus très visibles et, à partir de là, le modèle républicain classique ne peut plus fonctionner parce qu'il n'est pas fait pour que les Juifs soient visibles comme communauté." (Une opinion qui attire une réaction de Yves Calvi: "vous ne pouvez pas demander aux Juifs d'être transparents?") "Je constate que la République, à elle seule, ne suffit plus face à une situation qui a beaucoup changé. Et s'il y a si peu d'indignation (parce qu'il y en a) c'est parce qu'on sent qu'il y a quelque chose dans le modèle général qui nous est proposé qui ne va pas". A une question sur la France, "premier pays d'émigration vers Israël", le sociologue récuse la possibilité de s'indigner (Hessel est cité!) en l'expliquant par la "banalisation" de la violence antisémite: "Le modèle français qui assurait la sécurité, entre autres choses, qui apportait des repères qui permettaient aux Juifs de se situer, ce modèle ne marche plus. Vous pouvez tenir le discours de l'ancien modèle, de la République d'avant les années 1960-1970, cela devient un peu incantatoire - les gens ne s'indignent pas, les gens ne viennent pas - ou, sinon, vous partez, vous sortez, parce que le modèle ne marche plus". Le communautarisme juif mais pas l'antisémitismeSi une première remarque s'impose à la découverte de cette théorie, c'est que là où l'on attendait une analyse de la haine des Juifs nous avons une critique, voire une mise en accusation des Juifs, le tout, accompagné d'un silence total sur leurs agresseurs et le caractère de leur motivation, jamais évoqués et encore moins mis en cause. On en retire le sentiment que les victimes de 15 ans d'agressions sont responsables à la fois de l'indifférence de l'opinion publique à leur sort et des violences q ...

Vous devez être connecté(e)(s) pour accéder au contenu du journal

Je me connecte

Supplément du journal

Petites annonces

Votre annonce ici ? Ajouter mon annonce

Publicités

Bouton retour en haut de la page

Vous ne pouvez pas copier le contenu de cette page