Albert Cohen, juif de partout et de nulle part

Octobre 2021 marquera le quarantième anniversaire de la mort d’Albert Cohen. Et si prendre un peu d’avance sur le calendrier commémoratif nous ramenait à son œuvre magistrale, partagée entre inspiration autobiographique et saga romanesque, avec la conscience juive pour fil rouge ? Dire qu’il fallut attendre l’année e 1977 et le 127e numéro d’Apostrophes pour que l’immense Albert Cohen fît une entrée en fanfare – et en robe de chambre !dans le grand public. On y découvrit un homme fragile doublé d’un fier Mangeclous « connaisseur de [s]a valeur », souverain recevant les lettres de créance d’ambassadeurs de la littérature. Sa consécration tardive doit beaucoup à cette soirée télévisuelle au cours de laquelle, une cinquantaine d’années après la parution de Solal, neuf ans après le grand prix du roman de l’Académie française remporté pour Belle du Seigneur (troisième opus de la tétralogie Solal et les Solal ou La Geste des Juifs), Bernard Pivot ne cacha pas son admiration pour l’ermite genevois alors moins connu que d’autres écrivains qui n’avaient pas « le tiers de sa verve, le quart de son invention et le dixième de sa sensibilité ».Le sentier de la gloire était pavé, sur lequel Solal et sa bande – Mangeclous, Salomon, Mattathias, Ariane… – se sont engouffrés, laissant l’empreinte indélébile de leur panache, sous l’œil malicieux de celui que le critique et écrivain Gérard Valbert appelait le « Seigneur » (Albert Cohen, Le seigneur, Grasset 1990). Le succès de l’émission souffla à l’écrivain l’ultime Carnets 1978 (Gallimard, 1979), journal dans lequel il libère ses réflexions obsessionnelles avec le style et le rythme qui font la patte cohenienne : la violence, la cruauté, la tendresse, les femmes, l’ami Pagnol, les blessures, la mort, le besoin d’aimer et d’être aimé, la loi qu’il nomme « loi de la tendresse de pitié » et, bien sûr, l’humour. Cet humour que – par facilité ou par tropisme ? – on serait tenté de qualifier de juif et que la critique qualifia de rabelaisien. En plus drôle, de l’avis de l’écrivain, étonné et sans doute plus encore agacé par la recherche systématique de lignée. L’héritage revendiqué et assumé n’a pas la couleur de l’encre mais celle du sang du peuple juif qui coulait dans ses veines et qui n’a cessé d’irriguer son œuvre. Il demeura tel Solal, « Pauvre fils de la Loi et des oignons crus ». Abraham Albert naquit en 1895 à Corfou. À ce moment-là et jusqu’à sa naturalisation en 1919, Albert est Coen puisque, nous rappelle Gérard Valbert, le h n’existe pas en grec. Il n’a passé que cinq ans à Corfou et n’y est revenu, é ...

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