France/Politique

« Les jugements des tribunaux seront toujours préférables à ceux de l’opinion »

Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance ?
Georges Kiejman : Je resterai toujours ce petit juif polonais, né pauvre en France. De mon enfance, je garde le souvenir d’une grande affection de mes parents. C’est mon père qui était le plus « maternel », qui était le plus ironiquement tendre. Malgré son dévouement et son courage, ma mère ne savait pas exprimer des sentiments. Pourtant, c’est elle qui m’a sauvé la vie, notamment en juillet 1944 en me retirant de l’internat où la milice a « raflé » un autre enfant juif jeté et tué dans les puits de Guerry. Son nom était Marcel Walevick. Mon histoire est un bon exemple de l’ascenseur républicain.

Comment viviez-vous votre judaïsme ? Et aujourd’hui ?
G.K. : Je vis ma judaïté – notion laïque – plutôt que mon judaïsme – connoté religieusement – avec une solidarité totale pour tous ceux considérés comme juifs malgré la difficulté à les définir. L’antisémitisme m’apparaît intellectuellement crétin et moralement abject.

Comment avez-vous rencontré Pierre Mendès France ? Il est, dites-vous, votre « dieu » …
G.K. : La faculté d’analyse et le pouvoir d’anticipation de Mendès font aujourd’hui cruellement défaut. Pierre Mendès France m’apparaît comme l’idéal indépassé de ce que devrait être tout homme politique. Il avait la rigueur intellectuelle et le sens de l’anticipation. C’était un républicain généreux mais intransigeant sur le respect des valeurs. Il était incapable de haine. Sa seule faiblesse était, peut-être, de croire que les citoyens sont naturellement bons et que dès lors qu’on leur expose la vérité, il est possible de passer avec eux une sorte de contrat civique qu’ils respecteront. La manière dont les parlementaires lui ont repris le pouvoir, après qu’il eut réglé le drame indochinois et le problème tunisien, prouve qu’il se trompait. Je faisais partie de ceux qui regrettaient qu’il n’ait pas perçu les possibilités que lui aurait offertes la Cinquième République, mais il pensait qu’un tandem avec le général ne lui aurait laissé aucune liberté d’action et il avait probablement raison.

Avocat de Pierre Goldman, vous êtes présent dans de nombreux grands procès, de Georges Ibrahim Abdallah à Malik Oussekine. Que retenez-vous de ces procès pour l’Histoire ?
G.K. : Si imparfaite que puisse apparaître dans chaque pays l’organisation de la justice, elle reste indispensable pour éviter les affrontements et faire respecter la paix publique. Les jugements des tribunaux seront toujours préférables à ceux de l’opinion. Je regrette que la Cour de cassation n’ait pas retenu la compétence universelle des tribunaux français en matière de crimes contre l’humanité au motif que cette incrimination n’existe pas dans le pays de la personne poursuivie. Ces paradoxes assurent l’impunité des ressortissants des pires dictatures.

De 1990 à 1993, vous êtes ministre de votre ami François Mitterrand. Est-ce la période la plus difficile de votre carrière avec l’affaire Bousquet notamment ?
G.K. : Mon passage dans trois gouvernements de François Mitterrand a été très intéressant. Beaucoup de ceux qui jugent sévèrement Mitterrand n’ont pas comme lui risqué leur vie au service de la Résistance.

Que vous inspire la campagne présidentielle qui débute en France ? G.K. : J’ai du mal à m’intéresser à la prochaine présidentielle. Je fais partie des macroniens déçus mais résignés à voter à nouveau pour lui. Je regrette que la lutte contre la pauvreté et les inégalités n’ait pas été plus efficace. Je me préoccupe surtout du recul de la démocratie partout dans le monde. Nous vivons avec retard 1984 de George Orwell. À la vérité, je pense que partout dans le monde, les nouveaux dirigeants ne sont pas à la hauteur des problèmes qui se posent à eux. Les progrès technologiques l’ont emporté sur les progrès intellectuels et moraux. Propos recueillis par Ilan Levy

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