France/Politique

Éric Zemmour et la zizanie dans la communauté juive

Observateur attentif de la vie politique française et israélienne, Marc Eisenberg, président de l’Alliance israélite universelle, s’était refusé jusque-là à tout commentaire sur le « presque candidat » Éric Zemmour. Maintenant que le journaliste a fait savoir, mardi 30 novembre, dans une vidéo, qu’il se lançait dans la course à la présidentielle, l’ambiguïté est levée et le moment est venu à celui qui est également le propriétaire d’Actualité Juive de contribuer au débat.

Les thèses d’Éric Zemmour séduisent une partie plus ou moins importante de la communauté juive, alors qu’elles sont dénoncées avec violence par l’ensemble des responsables des grandes institutions.
Je tiens d’abord à dire que, comme l’a démontré brillamment Dominique Schnapper, il n’y a pas de vote juif en France. Il y a constamment des opinions divergentes à l’intérieur de la communauté juive organisée et évidemment parmi ceux, beaucoup plus nombreux, qui se revendiquent comme juifs. C’est la raison pour laquelle, les appels au « vote juif » sont mal ressentis par beaucoup.
Ces derniers mois, Actualité Juive a reçu de nombreux courriers dénonçant un « traitement anti-Zemmour » dans ses colonnes. L’un de ses plus fidèles lecteurs a même écrit : « Vos prises de position récentes sur Zemmour, signées par les représentants éminents de la communauté juive, m’ont profondément choqués tant elles me semblaient excessives… Actualité Juive, qui répète à l’envi être un journal apolitique semble s’en faire l’écho avec gourmandise (…). Je renonce aux prismes déformants à mes yeux – d’Actualité Juive que j’aimais tant » (1). Je veux dire à ce lecteur, dont nous regrettons le désabonnement, qu’en 2017, Actualité Juive avait relayé les appels des grandes institutions juives à voter contre Marine Le Pen, arrivée au 2e tour, sans que cela ne provoque de réaction particulière dans son lectorat.
En réalité, Actualité Juive n’est pas un journal apolitique puisqu’il traite de la vie de la cité, de la vie de la société française, de la société israélienne et de la vie juive… En revanche, il n’est pas partisan car il s’efforce de donner la parole à toutes les sensibilités de la communauté juive et aux différents courants politiques en France et en Israël. Avec une exception notable : les extrêmes, de droite et de gauche, qui sont dangereux pour les démocraties, pour Israël et pour les juifs.


Les positions « anti-Zemmour » sont donc très mal vécues par une partie de la communauté juive et un fossé grandissant entre les institutions et la « rue juive » (sans aucune connotation péjorative, sous ma plume)(2) a pris forme avec tous les dangers que cela comporte. Les divisions portent sur des questions de fond, alors par-ons-en.
Eric Zemmour a deux thèses principales. Tout d’abord, celle de la décadence de la France, une thèse proche de celle de notre ami Alain Finkielkraut qui ne se considère pas « Zemmourien » pour autant. L’analyse de Zemmour est souvent juste mais, hélas, souvent excessive aussi, voire abjecte. Repensons à sa condamnation conjointe de la famille Sandler et de Mohamed Merah, par exemple.
A ce sujet, il me semble opportun de citer l’écrivain Sébastien Lapaque, qui, dans Le Point de la semaine dernière, écrivait ceci : « Ce qu’Éric Zemmour ne veut pas comprendre, à propos de l’enterrement de Jonathan Sandler et de ses fils Arié et Gabriel à Jérusalem. S’il le sait, il ne doit pas imaginer non plus pourquoi Jacqueline de Romilly, après avoir servi de gibier de camp de concentration, s’est peu à peu rapprochée de la nation juive, au point d’exiger, par testament, que ses biens soient légués à une fondation ayant pour objectif d’aider l’Etat d’Israël, d’agir en Terre sainte et de soutenir des Israéliens en France. Est-ce l’effet d’une « défrancisation » ? Quand il prononce ce mot avec lé-gèreté, Éric Zemmour prouve que, s’il est persuadé d’avoir lu tous les livres, il n’a pas réfléchi sérieusement à l’esprit du franco-judaïsme. Il est pourtant aisé de comprendre que c’est l’enchaînement des catastrophes au 20e siècle, de l’affaire Dreyfus à la flambée d’antisémitisme au moment de la guerre des Six Jours, qui a poussé un certain nombre de Français à se vouloir des juifs de conviction et non plus de seule condition, et même des sionistes assumant leur identité en partage. Ainsi Jacqueline de Romilly, juive et chrétienne, de France et d’Israël à la fois ».
La seconde thèse de Zemmour est celle du « grand remplacement ». La France, assène-t-il, est en passe d’être colonisée par les musulmans qui refusent les lois de la République et toute assimilation. Ils pratiquent au quotidien la violence dans les cités et tuent des juifs parce qu’ils sont juifs, souvent au nom de la cause palestinienne. Cette partie de la population musulmane profite abusivement des « largesses » de la France et triche sans vergogne pour faire bénéficier à de trop nombreuses personnes des aides sociales françaises. C’est un facteur qui déséquilibre gravement les comptes de la Sécurité sociale (3). Cette hantise du « grand remplacement » était d’ailleurs l’objet du roman de Michel Houellebecq, Soumission, paru en 2015.


Une partie de la communauté juive estime qu’un discours de « vérité » est, enfin, exprimé à haute voix et que le danger décrit par Éric Zemmour est tout à fait réel. Elle considère que les positions plus que critiquables de Zemmour au sujet de Pétain, au sujet des femmes et sur l’affaire Dreyfus ne sont que des points marginaux au regard de l’essentiel : « Avec les musulmans, on n’est plus chez nous et nous sommes en danger, il faut impérativement réagir de manière forte et radicale ». Quelle appréciation peut-on porter sur cette analyse ? Il s’agit d’un sujet complexe et chacun aura son opinion. Il n’y a pas de vérité absolue, indiscutable dans cette matière.
À titre personnel, je comprends parfaitement l’exaspération et la douleur de nos coreligionnaires qui vivent en banlieue dans des quartiers devenus aujourd’hui dangereux pour eux. Je ne nie pas une certaine décadence de la France qui se déshonore en n’ayant pas solutionné les problèmes posés dès 2002 dans ce livre à la fois tellement conforme à la situation à l’époque et tellement prémonitoire, Les Territoires perdus de la République. Je connais également la réalité de la situation dans les écoles, décrite notamment dans le rapport Obin de 2004 et dans le dernier livre de ce haut responsable de l’Éducation nationale en 2021. Je crois même que la thèse de Zemmour, selon laquelle il n’y a pas de différence entre islam et islamisme est, jusqu’à un certain point, relativement justifiée.
Si les règles du Coran, en y incluant les règles de la charia et celles du djihad, étaient intégralement appliquées, nous serions en face d’un mouvement dangereux et peu soluble dans les démocraties occidentales. Heureusement, de très nombreux musulmans et des imams courageux ne considèrent pas aujourd’hui que les lois de la charia doivent être supérieures à celles de la République ou que le djihad et le prosélytisme doivent être mis en application en France. Ceux qui le pensent devraient être sanctionnés plus sévèrement ainsi que ces jeunes qui crachent de façon intolérable sur la République et qui sifflent la Marseillaise dans un match de football.

Car le danger provient, en grande partie, de l’état d’esprit de la jeunesse. Des erreurs, en matière de politique d’intégration et économique de la France, ont pu être commises à leur encontre, mais il est incontestable que la 3ème génération issue du Maghreb ne s’est pas intégrée à la France. Au cours des deux derniers siècles, l’histoire méritoire de plusieurs intégrations réussies – parmi lesquelles celle de nombreuses communautés juives issues de régions du monde très éloignées de la culture française -prouve qu’il n’y a pourtant, aujourd’hui, aucune fatalité au séparatisme.
Pour autant, faut-il, comme le souhaite Éric Zemmour, interdire toute immigration ? D’ailleurs, dans notre monde, n’est-il pas totalement illusoire – et démagogique – de prôner la fermeture absolue des frontières ? Quelles que soient les mesures prises, cela n’empêche jamais une immigration clandestine. Faut-il faire de l’immigré le principal coupable de tous les malheurs et de toute la décadence de la France ? Sûrement pas, nous y reviendrons.

La position des institutions juives

Reprenons sur la position des institutions juives : elles condamnent très fortement Zemmour. Francis Kalifat, président du CRIF : « Pas une voix juive ne doit aller au candidat potentiel Éric Zemmour ». Ariel Goldmann, président du FSJU : « J’ai honte de partager la même religion ». Haïm Korsia, grand rabbin de France : « raciste évidemment ». Bernard-Henri Lévy (4) : « Ce que Zemmour fait au nom juif ».
Quels sont leurs arguments ? Ils condamnent l’extrémisme de Zemmour, son racisme et sa tentative de réhabilitation de Pétain. Là-dessus, expliquons. Pour une petite partie de la population juive, cette tentative n’a pas grande importance, mais elle est tout à fait insupportable aux yeux des grandes institutions juives.
Essayons d’envisager deux explications qui permettront peut-être de mieux appréhender le problème. Pour quelle raison Zemmour, depuis des années, a-t-il embrassé cette mauvaise cause ? (5)
On pourrait dire notamment pour fédérer autour de lui l’extrême droite et les électeurs de Le Pen, qui ont souvent une bonne opinion du maréchal Pétain, en mettant l’accent sur son rôle positif pendant le premier conflit mondial, plutôt que sur son attitude pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour certains, « La France aux Français » et les incantations nationalistes de Pétain leur conviennent même souvent très bien. Néanmoins, cette explication paraît très courte. Aujourd’hui, Zemmour met en avant son gaullisme, ce qui devrait être totalement incompatible avec la moindre indulgence pour le rôle de Pétain pendant la Seconde Guerre mondiale.


L’explication de son attitude est peut-être la suivante : Zemmour croit en la France, grande nation qui, dans sa généreuse démarche, comme il aime le citer à foison, a déclaré par la voix de Clermont-Tonnerre après la Révolution française : « Il faut tout refuser aux juifs comme nation et tout accorder aux juifs comme individus ». Donc à ses yeux, la France reconnaît le droit à un juif qui s’intègre de pratiquer en privé sa religion et d’être l’égal des autres Français. Il considère en conséquence qu’il n’y a nul besoin d’une institution telle que le CRIF pour défendre les droits des juifs français qui sont garantis par l’État français…
Le régime de Vichy a envoyé des dizaines de milliers de juifs à la mort, en étant parfois plus sévère que les nazis ! Cela contredit totalement sa doxa. Il est donc important pour Zemmour de montrer qu’en réalité, Pétain a défendu les juifs français et que livrer les juifs étrangers aux Allemands était un pis-aller acceptable (!!) Cette thèse dite « du glaive et du bouclier » ne résiste pas à un examen historique sérieux.
Pour quelle raison ce positionnement est-il considéré comme un problème mineur pour une partie de la communauté juive et majeur pour nos institutions ? D’une part parce que ces institutions, depuis des années, se sont battues pour lutter contre le négationnisme. Au-delà de la mission de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et du Mémorial de la Shoah, le maintien du souvenir du génocide nazi a été une de leurs activités essentielles depuis la dernière guerre. On notera, d’ailleurs, qu’il est inexact de traiter Zemmour de négationniste, car il n’a jamais remis en question Auschwitz et les six millions de juifs morts dans les camps. Cela ne rend pas plus acceptable, pour autant, cette tentative de réhabilitation de Pétain et du régime de Vichy.

Candidat Zorro ou… zéro ?
On pourrait peut-être penser, comme une explication partielle, que ce fossé entre les institutions et une partie de la communauté juive tient à une explication « sociologique ». La grande majorité de la communauté juive française aujourd’hui est séfarade. Les ashkénazes sont proportionnellement surreprésentés dans les institutions juives. Or s’il est incontestable qu’il y a eu de vraies souffrances liées à la Seconde Guerre mondiale dans les pays d’Afrique du Nord, comme Jacques Attali y a insisté, à juste titre, dans son 1943 (Fayard) où il rappelle même l’existence de camps d’internement de Vichy dans le Sud saharien de l’Algérie, ces traumatismes, conséquence de la révocation du décret Crémieux par le régime du maréchal Pétain, et de l’occupation du protectorat tunisien par l’Allemagne nazie, restent incomparable avec ce qu’ont enduré les juifs ashkénazes dont les parents, les grands-parents, les oncles et tantes, les frères et sœurs ont péri dans les fours crématoires. Alors même que certains d’entre eux étaient de grands militaires, de grands résistants, des héros de la Première Guerre mondiale…
La solidarité des juifs d’Afrique du Nord avec les juifs d’origine ashkénaze n’est pas à remettre en doute. Mais on ne vit pas de la même façon un événement qui nous a touchés profondément dans notre chair et dans notre entourage proche avec ceux qui ont, certes, souffert de la guerre, mais qui pour la plupart n’ont eu qu’un récit d’épouvantables atrocités nazies.


Dans les courriers de lecteurs reçus par Actualité Juive, beaucoup de témoignages poignants de lecteurs ashkénazes hurlent contre l’infamie de la tentative de réhabilitation de Pétain. D’autres courriers tout aussi nombreux ne supportent pas les prises de position contre Zemmour qui, pour eux, est « le » candidat Zorro qui va enfin les libérer du danger musulman. Traditionnellement, les institutions juives ne donnent pas de consignes de vote, mais appellent régulièrement à ne pas voter pour les extrêmes de droite comme de gauche. Comme en 2017, lorsqu’elles avaient appelé fermement à voter contre Marine Le Pen au second tour. La Fondation pour la Mémoire de la Shoah s’était même prononcée contre la candidate du Front national, aujourd’hui Rassemblement national, alors que sa position statutaire la contraint habituellement à une certaine neutralité.
Avec ses diatribes anti-immigrés, Éric Zemmour est un candidat d’extrême droite qui veut revenir sur toutes les lois dont la loi Gayssot qui condamne le négationnisme sous toutes ses formes. Il est soutenu notamment par des catholiques intégristes et toutes sortes de personnes au passé sulfureux et parfois même antisémite.
Le maire de Béziers, Robert Ménard, connu pour sa sympathie pour Marine Le Pen et Éric Zemmour, a déclaré que si Zemmour n’avait pas été juif, il aurait au cours des dernières semaines été traîné devant les tribunaux de France et de Navarre pour ses propos. Francis Szpiner, avocat bien connu et maire du 16ème arrondissement, s’est prononcé dans le même sens.
Par exemple, Zemmour est entouré de Paul-Marie Coûteaux, ex-fondateur du SIEL (Souveraineté, identité et libertés), inventeur du concept de « préférence catholique » et ancien compagnon de route de Marine Le Pen. Des militants de La Manif pour tous sont très présents autour de Zemmour, ainsi que de nombreuses personnalités connues pour leur homophobie. Mais encore une fois, ce type de considérations n’intéresse pas une partie de la « rue juive ».

Histoire juive

Zemmour prétend « mezza voce » manger cacher à la maison, faire le kiddouch le vendredi soir et se rendre de temps en temps à la synagogue. Cela accroît le malaise de beaucoup de responsables communautaires. Mais de quel judaïsme Zemmour est-il l’adepte ?
Le commandement le plus répété dans la Torah, à plus de trente reprises, consiste à respecter l’étranger (« car nous avons été étrangers en Égypte ») et même à l’aimer. Certes, il s’agit d’un étranger qui accepte les lois du pays dans lequel il réside. Mais on ne peut pas généraliser et considérer que tous les demandeurs d’asile ou les immigrés en puissance sont des adeptes de la charia et ne sont pas prêts à s’intégrer.
Si la position extrême de Zemmour en matière d’immigration avait été retenue depuis des années, combien de dizaines de milliers de coreligionnaires ne seraient pas Français aujourd’hui ?
Allons un peu au-delà. La Bible parle de l’épisode de Loth et de la décision de Dieu de détruire les cités de Sodome et Gomorrhe. Le miracle explique la raison de la décision divine : une jeune femme qui s’était rendue à Sodome y avait passé la nuit en cachette, parce qu’interdite par les lois de la cité. Les Sodomites l’ayant démasquée le lendemain matin, l’ont torturée, jetée dans un puits qu’ils ont rempli d’abeilles qui ont piqué la malheureuse jusqu’à ce qu’elle meurt et les cris déchirants de cette jeune femme ont ému Dieu, attisé sa colère et ont entrainé sa décision de destruction. Or pour quelle raison les habitants de Sodome refusaient qu’un étranger puisse passer la nuit ? Très explicitement parce que « nous ne voulons pas partager nos richesses avec des pauvres étrangers ». Méditons un peu cette magnifique leçon juive.


Il ne s’agit pas de dire que nous devons accueillir toute la misère du monde, mais nous avons un devoir de compassion, d’aide et d’accueil au maximum de nos moyens. Ce qui n’est évidemment pas la politique prônée par Éric Zemmour. Il a d’ailleurs été attaqué plusieurs fois en justice et condamné deux fois définitivement pour racisme et incitation à la haine (6). Parfois, le polémiste a été relaxé dans d’autres affaires portées devant les tribunaux (7). La position de Zemmour vis-à-vis des femmes est également insupportable et contraire aux valeurs juives (8).
Les dirigeants des institutions communautaires sont également sensibles à d’autres déclarations de Zemmour comme lorsqu’il prétend que l’innocence de Dreyfus n’est absolument pas certaine et qu’en tout état de cause, cette affaire a entraîné la démission d’un grand nombre d’officiers antisémites de l’armée française, ce qui expliquerait sa débâcle en 1914 ! Ce type de propos permet de comprendre pourquoi la candidature de Zemmour est dangereuse pour la communauté parce qu’elle permet à d’authentiques antisémites de s’exprimer. Si Zemmour, juif lui-même, se permet de revenir sur l’affaire Dreyfus, alors les vannes sont ouvertes… Je ne dis pas que Zemmour est antisémite, mais son attitude peut entraîner de l’antisémitisme.


Dans ce fossé dangereux qui s’instaure entre les institutions, la communauté et une partie de « la rue juive », on notera la très vive réaction contre les propos de Francis Kalifat « Pas une voix juive ne doit aller au candidat potentiel Éric Zemmour ». Les réactions « de la rue » sont souvent les suivantes : « De quel droit ce Monsieur se permet de nous donner des consignes de vote et de nous indiquer notre choix, je n’ai jamais voté pour lui, il ne me représente pas ! Ma position d’ailleurs serait la même s’il invitait tout le monde à voter Zemmour… ».
Francis Kalifat est le président du CRIF qui regroupe toutes les associations juives. Donc si vous faites partie de l’une de ces associations, depuis les collecteurs de cartes postales de Tunisie, jusqu’au mouvement Loubavitch, quelque part, par un vote censitaire démocratique, il nous représente. Si un grand danger menace la communauté, n’est-ce pas le rôle de ses dirigeants institutionnels de prévenir l’ensemble de ses coreligionnaires ?


Nous sommes dans un monde politique très violent où seul le rapport de force compte. Dans ces conditions, il est difficile de se passer d’un lobby pour défendre les intérêts des juifs vivant en France. Rappelons que le CRIF a statutairement « pour mission de défendre et de représenter les droits et intérêts ainsi que les aspirations de la communauté juive de France et de ses membres, et de faire connaître, tant devant les pouvoirs publics et l’opinion publique française que devant les organisations et instances internationales, sa position sur tous les problèmes pour lesquels la communauté juive se sent concernée… Il se propose d’assurer les droits, la sécurité et l’égalité des traitements… des juifs comme de tout autre groupe humain, afin de lutter contre toutes les formes d’antisémitisme et de racisme » (9).
Il me semble donc que Francis Kalifat est dans son rôle en déclarant, selon la position traditionnelle du CRIF, qu’il ne faut pas voter pour les extrêmes, dont Zemmour fait partie.
Un autre thème de Zemmour passe mal auprès des dirigeants communautaires. Il promeut sans arrêt l’assimilation des minorités dans une France de culture chrétienne. Or, les dirigeants des institutions juives défendent l’idée de l’intégration des juifs français dans la République et non de l’assimilation. Cette intégration a toujours été remarquable, les juifs français ont souvent été les meilleurs patriotes, viscéralement attachés à la France et à ses valeurs.
Le mot assimilation a une connotation d’abandon de ses racines. Nous devons donc être communautaires et pas communautaristes, ouverts dans le dialogue avec les autres, respectueux des valeurs de la République et de la France, tout en conservant notre patrimoine culturel. A ce sujet, la polémique concernant les déclarations de Zemmour sur l’enterrement en Israël des enfants Sandler est assez révélatrice. Zemmour considère que si vous vous faites enterrer hors de France, cela démontre un attachement faible, une non-assimilation et non-allégeance à ce pays. D’autres rétorqueront que se faire enterrer en Israël peut se faire pour des raisons religieuses, sans aucune remise en cause de son attachement à la France. Le choix de se faire enterrer en Israël peut aussi s’expliquer en raison de nombreuses profanations des tombes juives ou de monuments érigés par exemple pour Ilan Halimi et Simone Veil. Qui souhaiterait prendre un risque pareil pour la tombe de ses enfants ?Certains considèrent également qu’on peut très bien avoir plusieurs allégeances, être un citoyen modèle français et se sentir lié à Israël par ses tripes, sans que cela n’entraîne aucune contradiction et conflit. Chacun se fera son opinion.


Pour résumer cette réflexion, les problèmes soulevés par Zemmour sont réels. Beaucoup de Français juifs, comme de Français non juifs, ont le droit d’exiger des réponses beaucoup plus fermes pour éradiquer la violence et le non-respect de la France. Est-ce pour autant qu’il faille diaboliser tous les immigrés et considérer qu’ils sont le principal problème de la France et de son déclin ? Éric Zemmour propose-t-il des solutions qui règleraient ces problèmes ? Chacun réagira avec sa sensibilité, mais à ce stade, nous n’avons pas entendu beaucoup de propositions concrètes.
Le fossé entre une partie de la communauté et ses dirigeants est inquiétant et chacun doit mieux comprendre la position de l’autre. Certains dirigeants communautaires n’ont peut-être pas suffisamment compris l’exaspération et la détresse d’une partie de la population juive qui voudrait tout faire pour retrouver « la France d’avant ». Ils devraient reconnaître que si la candidature de Zemmour divise, attire ou révulse autant, c’est notamment parce que Zemmour fait des analyses parfois très justes (même si elles sont souvent accompagnées de propos que je juge à titre personnel souvent scandaleux). Les institutions, garantes de nos valeurs, ont de leur côté le devoir de condamner des propos révisionnistes sur Pétain ou Dreyfus et de considérer que cette candidature peut être dangereuse car elle assimile l’ensemble des juifs et du judaïsme à ses positions.
Que chacun en pleine conscience, et bien éclairé, fasse le meilleur choix et comprenne mieux une position contraire. Actualité Juive continuera, quant à lui, à donner la parole à tous.

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