Maurice Lévy « Mes racines juives sont très profondes »

Actualité juive : Vous fêtez cinquante ans de travail au sein du groupe Publicis. Vingt-cinq ans avec Marcel Bleustein-Blanchet, vingt-cinq ans avec Elisabeth Badinter. Publicis est-il l’une des plus belles success stories françaises du demi-siècle écoulé ? Maurice Lévy : Pour moi, c’est incontestable. L’aventure extraordinaire de Publicis s’inscrit dans celle de grands fleurons entrepreneuriaux comme Michelin ou Dassault qui sont autant de magnifiques histoires industrielles et d’innovation. Deux ou trois éléments expliquent, à mon avis, la place un peu à part de Publicis dans cet écosystème. Lesquels ? M.L. : D’abord, le caractère très familial de l’entreprise, fortement marquée par la personnalité charismatique et l’aura de Marcel Bleustein-Blanchet, par les valeurs qu’il a fait vivre et qu’Elisabeth Badinter a eu à cœur de faire prospérer. Ensuite, le fait que Publicis jouisse d’un renom et d’une aura qui dépassent de très loin sa taille. Elle est connue dans le monde et travaille avec des multinationales comme General Motors, Unilever, Walmart, Bank of America ou encore Samsung, L’Oréal, Nestlé, P&G ou encore Renault. La liste est très belle et très longue. Vous faites allusion aux valeurs ancrées et solides de Marcel Bleustein-Blan-chet. Quelles étaient-elles, justement ? M.L. : Il croyait à la créativité. Marcel Bleustein-Blanchet était un homme d’idées très créatif et bouillonnant d’idées surtout disruptives. Il ne renâclait devant aucune prise de risques, même quand son entourage était unanime à le dissuader d’un projet : autour de lui, personne, par exemple, lorsque l’idée a germé, ne voulait entendre parler des drugstores ; il a écouté son intuition et ce fut une réussite éclatante… Cet ancien de la France libre, qui avait grandi à Clignancourt aux côtés de Jean Gabin et de Pierre Lazareff, était aussi un républicain impeccable qui a montré un attachement extraordinaire à la France et en particulier à sa ville, Paris. Vous êtes entré à Publicis, à l’âge de 29 ans, comme responsable de l’informatique. Quel souvenir gardez-vous de cette « intronisation » ?M.L. : Un souvenir émerveillé. J’ai tout de suite saisi que Publicis avait quelque chose de magique. En tout cas pour moi. Marcel Bleustein-Blanchet régnait avec brio et même avec génie sur ce lieu de création et d’innovation envié de tous, qu’il avait fondé, quarante-cinq ans auparavant, dans un petit appartement du Faubourg Montmartre. Publicis incarnait tous les rêves de la modernité. J’étais fasciné, conquis. 50 ans plus tard, votre histoire d’amour avec Publicis est intacte ?M.L. : Oui, elle n’est pas émoussée… Je suis profondément attaché à cette entreprise, à son histoire et à ses valeurs. Je m’y suis entièrement identifié. Vous aviez ardemment souhaité être embauché dans ce temple de la publicité et de la communication ?M.L. : Même pas ! Comme souvent dans l’existence, ce sont des concours de circonstances qui ont (bien) fait les choses. J’avais répondu à un appel du numéro deux du groupe car Publicis cherchait un informaticien pour y diriger son département informatique. Vous rencontrez pour la première fois Marcel Bleustein-Blanchet, le 2 mars 1971… M.L. : Oui, Claude Neuschwander, qui était à l’époque le numéro 2 de l’entreprise, m’avait recruté et organisé une rencontre avec Marcel Bleustein-Blanchet, celui qu’on surnommait « le pape de la publicité française ». Vous avez gardé un souvenir net de ce moment ?M.L. : Oui, très net, très vivant. Je revois le Président (c’est ainsi qu’on parlait de MBB) m’accueillir, autour d’une table de bridge, dans un bureau somptueux, tapissé de tableaux. Je revois aussi les téléphones en très grand nombre qui garnissaient son bureau ! Vous imaginez à quel point j’étais intimidé. Je bafouillais. La conversation s’est poursuivie et Marcel Bleustein-Blanchet a évoqué une partie de sa vie. Puis, il a enchaîné avec des questions sur l’informatique. Dès lors qu’on était sur mon terrain, je me suis libéré et avec beaucoup de passion, j’ai tenté de lui expliquer en quoi consistait mon métier. Je me souviens lui avoir dit que les ordinateurs étaient promis à devenir des biens de consommation très courants et qu’on les trouverait un jour dans ses drugstores ! Une collaboration très étroite a été entamée et je n’ai plus quitté Marcel Bleustein-Blanchet, pour lequel j’ai immédiatement éprouvé une immense admiration. Qu’avez-vous apprécié chez lui ?M.L. : Marcel Bleustein-Blanchet aimait les idées et, par-dessus tout, il encourageait l’audace. Il m’a transmis le goût du risque. Je garde le souvenir d’un homme habité d’une rigueur morale et d’une volonté de perfection. C’est lui qui m’a appris la pub dans toute son exigence. Certes, je ne découvrais pas totalement ce métier, mais grâce à lui, j’ai franchi toutes les étapes à grands pas. Marcel Bleustein-Blanchet était le tenant d’une vision essentiellement hexagonale du devenir de Publicis. Très tôt, vous avez eu l’intuition qu’il fallait internationaliser la perspective. Comment l’avez-vous convaincu ?M.L. : Nous en avons parlé lors d’un séjour, partagé avec mon épouse, dans sa résidence proche de Sainte-Maxime, aux Issambres. C’était en 1987. Marcel Bleustein-Blanchet me sondait au sujet de l’avenir de Publicis, de ce que le groupe devait devenir. A l’époque, nous étions à peine présents aux États-Unis, pas du tout en Asie ni en Amérique latine. Je plaidais sans hésiter devant lui pour l’internationalisation. On ne disait pas encore « globalisation ». Comment a-t-il réagi ? M.L. : Il a marqué sa réserve, son scepticisme. Peu de temps après, il a précisé sa pensée et m’a dit : « Non, Maurice, nous n’avons rien à apporter aux Américains… Ni aux Chinois d’ailleurs. Et puis, est-ce que vous parlez chinois ? ». Il était un ferme partisan de l’ajournement de la mise en œuvre de la stratégie mondiale. Celle-ci l’a été peu de temps après et je sais ce que sa réussite a dû à la ténacité et au soutien sans faille d’Elisabeth Badinter, une présidente du conseil exceptionnelle, avec une conscience aiguë de la priorité des intérêts fondamentaux de l’entreprise et une vision sur les nécessaires prises de risque. Vous pensez à quoi ? M.L. : À la part remarquable qu’a prise Elisabeth Badinter dans nos acquisitions - je pense à notre programme d’acquisition depuis Saatchi & Saatchi, qui a donné un « boost » sans précédent au groupe, ou encore, plus récemment, à celle d’Epsilon, une société spécialisée dans la data, achetée pour un montant de plus de 4 milliards de dollars. Revenons au tournant des années quatre-vingt-dix. Comment s’y prend-on pour « mondialiser » le champ d’action d’un fleuron français comme Publicis ? M.L. : S’internationaliser n’était pas évident à une époque - la fin des années 80 - où les Français apparaissaient comme les plus mauvais élèves de la classe en matière de marketing. En outre, la demande d’aller vers l’internationalisation ne devait pas nous conduire à nous renier. Un jeu d’équilibre, d’autant plus délicat qu’on ne voulait pas céder sur nos valeurs, ni sur le contrôle de la société alors qu’on n'avait pas les capitaux pour acheter des entreprises. Il fallait donc tenir les deux bouts de la chaîne…M.L. : Oui. J’avais conscience du difficile équilibre à inventer. Et j’ai émis l’hypothèse que l’attachement à « l’exception culturelle » était sans doute la chose du monde la mieux partagée. Il n’y avait aucune raison pour que les Français soient le seul peuple à tenir à leurs spécificités historiques et culturelles. Nous en avons déduit un grand respect pour la notion de différence. Cela constituait une révolution pour le métier de publicitaire qui, à l’époque, était pris au piège de l’homogénéisation ou si vous préférez de « l’américanisation ». La différence avec Publicis, c'est qu'on p ...

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